APRES LES GILETS JAUNES, LE R.I.P
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Par Jean-Louis de Bourbon, Docteur en droit, ancien Bâtonnier
Dans un premier temps, certains ont pensé que le mouvements des gilets jaunes n'était qu'une jacquerie de «beaufs» râleurs refusant une nouvelle taxe frappant leurs « bagnoles». Cependant la faible répercussion d'une hausse de quelques centimes par litre ne peut être la cause une telle mobilisation.
Dans un deuxième temps on a cru y voire l'expression d'un ras-le-bol fiscal du même ordre que la révolte des bonnets rouges. Mais contrairement à ce qui s'était passé en Bretagne où la majorité des manifestants étaient de petits chefs d'entreprise, des commerçants et des agriculteurs,on remarque la présence au sein des gilets jaunes de nombreux hommes et femmes retraités, de travailleurs pauvres mêlés aux chômeurs ou RMISTES, par définition peu ou pas imposables.
Les géographes ont théorisée une fronde des territoires oubliés contre les métropoles.Or,de nombreuses grandes villes ont été touchées par le phénomène.
Même si probablement partiellement vraie ,la manipulation, en sous main, du mouvement par le Rassemblement National ne peut suffire à expliquer une explosion d'une telle ampleur.
L'entrée en lice des casseurs-pilleurs de toutes origines ne doit pas masquer l'extrême violence des discours et des comportements des manifestants en jaune et cela avant les dérapages de Paris.
Les raisons économiques mises en avant ne peuvent à elles seules tout expliquer. La baisse du pouvoir d'achat si elle est réelle, est ancienne et modérée.La récente baisse des cotisations sociales a au contraire provoqué un léger mieux.La CSG sur les retraites a été très mal perçue, surtout pour les petites retraites, mais les tentatives de mobilisation des retraités n'avaient pas réellement réussies auparavant.
La hausse du pétrole à laquelle s'ajoute des taxes supplémentaires malvenues a certes majoré le prix des carburants, mais de pareils prix à la pompe avaient par le passé déjà été atteint sans provoquer une semblable flambée.
Les récentes réformes prises pour lutter contre le terrorisme ne constituent pas de vraies menaces à l'encontre des droits de l'homme.On ne peut sérieusement invoquer la défense des libertés fondamentales pour justifier la tentative d'édification de barricades.
A court terme,il appartient au gouvernement de trouver une porte de sortie. A moyen terme il faudra réfléchir aux causes profondes du mouvement et aux moyens de remédier à cette exaspération qui traduit par un discrédit frappant nos institutions politiques.
L'élection présidentielle avait déjà montré la méfiance de l'opinion publique envers les partis politiques. Malgré de nombreuses tentatives dans le passé, jamais un président sans parti n'avait réussi à s'imposer.Le parti communiste, le plus structuré des partis a été le premier à s'effondrer.Les radicaux,les plus implantés localement, ont suivi. La droite unie, voulue par Chirac, n'est plus qu'un lointain souvenir, et le parti socialiste est moribond. Seuls les partis politiques populistes gagnent des voix.
Depuis la chute de l'URSS qui avait porté un coup sévère à l'idéologie marxiste, les syndicats sont en perte vitesse ainsi que prouvent leurs défaites en rase campagne dans leurs luttes contre les lois travail et la réforme de la SNCF.
Le personnel politique est ,à tort ,souvent déconsidéré, traité comme s'il n'était composé que d'odieux profiteurs du système, incapables de relayer les désirs des électeurs.Les affaires Cahuzac, Balkany, Fillon, Thévenou ont profondément choqué l'opinion publique sans parler de tous ceux «qui ont été jetés aux chiens» avant d'être blanchis sans que leurs réhabilitations soient médiatisées comme elles auraient dû l'être.Certains médias, toujours à la recherche du sensationnel,ont une grande responsabilité dans ce discrédit qui fait le jeu des populistes qu'ils prétendent pourtant combattre.
Parallèlement, on constate une monté de l'abstentionnisme comme si voter ne servait à rien. Seuls les maires paraissent tirer leur épingle du jeu.
Il est donc raisonnable d'avancer que la démocratie représentative traverse une crise grave. A preuve les mots d'ordre des gilets jaunes,réclamant à cor et à cris de nouvelles élections présidentielles et l'organisation de référendum. Un de leurs reproches récurrent est de ne pas être écoutés par le président et le gouvernement.
Il faut également prendre en compte le rôle majeur que prennent les pétitions sur Internet et les caisses de résonance que constituent les réseaux sociaux.
Si les élites conservent leur foi dans la représentation parlementaire, il semble qu'il n'en soit plus de même pour la majorité des citoyens Pour redonner de la crédibilité à notre République,il donc urgent de permettre aux citoyens de s'exprimer.
Une réforme du système électoral est réclamée par les partis qui espèrent en profiter: le Rassemblement National, la France Insoumise et le MODEM. La promotionnelle, si elle avait été appliquée, pleinement ou partiellement, aurait-elle permis d'éviter cette crise? A l'évidence, non! En quoi une assemblée plus fragmentée permettrait-elle au peuple de se sentir plus écouté?
TROIS SOLUTIONS EN CONCURRENCE
Une des revendications des Gilets jaunes dont on parle de plus en plus est celle portant sur un Référendum d'Initiative Citoyenne.
Il ne faut confondre le Référendum d'Initiative Citoyenne, le Référendum d'Initiative Partagée et le Referendum d' Initiative Populaire objet de cette étude.
I)Le Referendum d'Initiative Citoyenne ( RIC) : une très mauvaise idée de l' extrême gauche.
Le RIC voulu par l'extrême gauche reçoit une nouvelle prérogative : la possible révocation de tous les élus, depuis le Président de la République jusqu'au maire de la commune.
L'idée qu'une simple pétition puisse entraîner la révocation d'un élu est absolument contraire au concept de souveraineté nationale qui s'exprime par la représentation. C'est la mort assurée de la démocratie représentative et la porte ouverte à la démagogie la plus radicale. Les exemples historiques de démocratie directe ne sont pas encourageants, qu'il s'agisse des sections de sans-culottes aboutissant à la Terreur, de la commune de Paris ou des soviets en Russie. L'exemple caricatural étant la Jamahiriya du colonel Kadhafi . Avec le développement des réaux sociaux le risque existe de voire une opinion publique versatile manipulée via des « fakes news » par des démagogues complotistes.
C'est la forme la plus outrée de démocratie directe voulue par Rousseau avec pour conséquence une instabilité d'un pouvoir incapable de prendre une mesure nécessaire mais impopulaire. A terme , c'est la faillite de l' État assurée puis qu'aucune réduction de dépenses ou augmentation de charges ne serait possible, aucun élu ne prenant le risque d'une impopularité pouvant l'exposer à une révocation.
Cette idée de révocation n'a , de plus, aucune chance d'aboutir car on voit mal ni le congrès ni le Président de la république accepter ce suicide politique.Il ne s'agit plus ici d'une sixième république mais de la pire forme de dictature tribunitienne .En exigeant la révocation par RIC, l'extrême gauche condamne l'idée qu'elle prétend défendre.
II) Les difficultés du Référendum d'Initiative Partagée existant.
Rappelons que ce référendum est à l' initiative de 185 parlementaires. L'initiative du référendum est donc partagée entre le Président et une minorité à la Chambre.
Deux cas se présentent selon que l' on est en cohabitation ou non.
Lorsque la majorité à la Chambre est une majorité présidentielle, on voit mal des députés de la majorité exercer cette prérogative. Le référendum sera donc uniquement un outil entre les mains d'une opposition ou coalition d'opposition pour contrer le gouvernement et le Président. Il s'agit donc d'un appel au peuple pour affaiblir un gouvernement issu d'une majorité de représentants régulièrement élus et le Président également élu par une majorité de citoyens.
En cas de cohabitation , le référendum sera utilisé par une opposition soutenant le président pour affaiblir le gouvernement issu de la majorité contraire au président.
Dans les deux cas , on voit bien qu'il s'agit d'un jeu politicien susceptible d'affaiblir nos institutions par un conflit de légitimité. Que fera le Président mis en minorité par le même peuple qui peut l'avoir élu trois mois avant. Se soumettre ou se démettre, provoquer une dissolution, voire demander un nouveau référendum ? Le danger évident du système actuel est que le référendum ne se transforme en plébiscite, avec à la clef la possibilité d'un véritable coup d' état. C'est sans doute la raison pour laquelle il n'a jamais été utilisé.
Quoiqu'il en soit, on est très loin de l'objectif qui est de permettre aux citoyens d'exprimer une approbation ou un réprobation sur un projet puisque ce ne sont pas les electeurs qui ont l' initiative du projet.
III) Intérêt du Référendum d'Initiative Populaire.
Il serait bon de s'inspirer du système des votations telles que pratiquées par nos voisins Suisses pour enfin instaurer le Référendum d'Initiative Populaire avec quelques gardes-fous pour éviter toutes dérives démagogiques.
Le système se décompose en deux temps. D'abord une pétition avec un seuil suffisamment élevé de signataires pour qu'elle puisse aboutir. Un chiffre de 500000 voix serait raisonnable. Un contrôle stricte devrait être assuré par une Autorité Indépendante afin d'éviter toute manipulation.
On devrait astreindre tout projet soumis à pétition à l'obligation d'expliquer le mode de financement de la mesure souhaitée si elle génère de nouvelles dépenses ou supprime une recette comme cela se pratique à l'Assemblée. Le sérieux du financement proposé devrait recevoir l'agrément de la Cour des Comptes.
Sous le contrôle du Conseil Constitutionnel,la proposition ne ne devrait être ni anticonstitutionnelle ,ni porter sur des traités internationaux ratifiés.Les traités engagent en effet l'État et le parallélisme des formes voudrait que ce soient les mêmes qui ont signé et ratifié le traité qui puissent engager sa modification ou sa dénonciation.
Une fois ces conditions remplies,un débat sur Internet et dans les médias permet d'éclairer l'opinion publique.
Les pétitionnaires auraient dés le début de la procédure le choix entre deux options: Soit ils choisissent de pétitionner pour obtenir un Referendum, soit ils choisissent de pétitionner pour obtenir un vote du parlement.
Si les pétitionnaires optent le vote au parlement, dés que la pétition dépasserait les 500 000 voix , la question posée par la pétition devrait obligatoirement être débattue et votée au parlement selon la même procédure qu'une proposition ou projet de Loi. 3 possibilités :
1°)le vote est positif et le projet est adopté.
2°) le vote est négatif mais obtient 185 voix. La procédure du Référendum d'Initiative Partagée peut être engagée.
3°) le vote est négatif et n'obtient pas les 185 voix et le projet est définitivement rejeté.
Si les pétitionnaires optent pour le referendum, la pétition devra obtenir les voix de 5% des inscrits et devrait en outre être parrainée par 500 élus.La proposition est alors soumise à referendum et pour être adoptée devrait recevoir 50% des Inscrits
Tel qu'exposé ci-dessus, le Référendum d'Initiative Populaire n'est pas sans présenter des difficultés théoriques et pratiques si un certain nombre de précautions ne sont pas prises.
Les difficultés théoriques tiennent également à des conflits possibles de légitimité entre la volonté populaire, le parlement et le président.
C'est la raison pour laquelle une durée minimum doit exister entre le vote d'une loi par le parlement et sa contestation par pétition.Pour la même raisons dans l'hypothèse où c'est la voie référendaire qui est choisie, le débat devant le parlement ne devrait pas être suivi de vote.
Le risque qu'un référendum ne se transforme en plébiscite pour ou contre le président subsiste comme dans le référendum d'Initiative Partagée. Il conviendrait que le Président ait la liberté d'engager sa responsabilité devant le peuple. S'il engage sa responsabilité, il participe au débat mais doit démissionner si le suffrage le désavoue. S'il n' engage pas sa responsabilité, il ne participe pas au débat et peut se maintenir quelque soit l'issue du suffrage.
En pratique le principal défaut serait la lourdeur du dispositif et sa longueur: signature de la pétition, versification par l'autorité indépendante la Cour des Comptes et le Conseil Constitutionnel, débat au parlement et enfin vote.Pour éviter ces inconvénients, on pourrait toujours choisir la pétition avec vote par le parlement.Cette procédure plus rapide et moins lourde n'entraîne pas conflit de légitimité. Elle aurait pour seul objet de permettre au peuple de prendre l'initiative du vote ou abrogation d'une Loi que la représentation nationale ou le gouvernement ne souhaiterait pas mettre à l'ordre du jour.
Mais contrairement au Référendum d'Initiative Participative, le Référendum d'Initiative Populaire permettrait bien à la volonté populaire de s'exprimer sur un sujet sérieux et d'imposer sa volonté.
Le procédure pourrait se résumer ainsi :
I )La pétition n'obtient pas les 500 000 voix, la motion est rejetée sans pouvoir être représentée avant un certain délai.
II°)La pétition obtient plus de 500 000voix mais moins de 5% des inscrits : Le projet est présenté au parlement soit
A) adoption par la majorité
B) rejet par la majorité avec 185 voix pour
a)Pas de demande de referendum et rejet du projet
b) referendum initiative partagée soit
1°adoption
2°rejet
C) rejet définitif si moins de 185 voix au Parlement
III°)La pétition obtient plus de 5% des inscrits et mise en place du Referendum d'Initiative Populaire
A )le président n'engage pas sa responsabilité
a)adoption si plus de 50% des inscrits
b)rejet si moins de 50% des inscrits
B) Le président engage sa responsabilité :
a) Vote conforme au vœu du président : - adoption ou rejet du projet
b)Vote contraire au vœu du président : - adoption ou rejet du projet =>démission du président
Il paraît urgent que ce débat soit mis sur la table sans laisser à l' extrême gauche le monopole de la défense de la volonté du peuple.Si la crise des gilets jaunes semble en voie d'apaisement, la crise que traverse la démocratie n' a pas été réglée. Les revendications sur le pouvoir d' achat ne doivent pas masquer la défiance envers notre système politique.C'est donc aux femmes et hommes politiques de montrer qu'ils ont entendus le message et de de faire des propositions constructives.
Il n'est pas nécessaire d'exiger une VI république,puisque cette réforme constitutionnelle, qui ne serait pas en contradiction avec la vision Gaullienne de nos institutions, permettrait une pratique politique plus apaisée et peut-être pourrait-on ainsi éviter le type de crise que nous avons vécues hier avec les bonnets rouges et aujourd'hui avec les gilets jaunes.Même si deux crises sont de natures différentes, elles sont effet révélatrices d'un même malaise. Avec la montée des nouvelles technologies, il est temps de passer à une forme nouvelle de démocratie qui permette au peuple de s'exprimer sans menacer l' équilibre institutionnel.