ARRETEZ DE TAPER SUR LES JUGES!

     L'accident mortel pour une petite fille de sept ans causé par un motard pratiquant le wheeling ou roue arrière qui en général est l'apanage des voyous de banlieue qui ont plutôt mauvaise réputation. a causé une forte émotion. Cet émoi a été renforcé par le fait que chauffard a été laissé en liberté. On comprend que les proches de la victime aient pu être révoltés par cette mise en liberté et l'on ne peut que leur exprimer de la sympathie au sens premier du terme ( souffrir avec).

     Il est par contre très choquant de voire des chroniqueurs et hommes politiques s'emparer de cette affaire pour taper sur les juges sans connaître les tenants et aboutissants du dossier auquel ils n'ont pu avoir accès.

     Rappelons que la présomption d'innocence s'applique tant que des juges du fond n'ont pas statué sur la culpabilité de l'auteur des faits, même si cette culpabilité paraît évidente. Rappelons que le maintien en liberté jusqu'au jugement est la règle. La mise en détention provisoire doit rester une exception justifiée par quatre motifs :

  • -soit la personne soupçonnée présente des risques évidents de vouloir se soustraire à la justice en disparaissant dans la nature. Si au contraire elle présente des garanties de représentation comme un domicile fixe , un travail régulier, une vie de famille stable, elle alors peut rester en liberté jusqu'au jugement. En générale, pour renforcer ces garanties de représentation, on établit un contrôle judiciaire obligeant à un pointage régulier et l'interdiction de quitter le territoire.

  • -soit la personne est susceptible de faire pression sur la victime ou les témoins, soit de se concerter avec des complices. Là encore, un contrôle judiciaire peut interdire l'entré en contact avec ces personnes. Exceptionnellement il peut même s'agir de protéger l'auteur des faits.
  • -soit il existe un risque de récidive, c'est à dire que l'on peut craindre que la personne suspectée ne se livre à de nouvelles infractions du même type. C'est tout l'intérêt du casier judiciaire qui garde en mémoire tous les agissements répréhensibles de la personne mise en cause . Il est fort probable que si le conducteur de la moto avait déjà été connu comme adepte des rodéos urbains, il n'aurait pas bénéficié de cette liberté.
  • -soit enfin il existe un risque de trouble à l'ordre public, c'est à dire un risque de perturbation de la paix sociale. La médiatisation d'une affaire ne constitue pas à elle seule un trouble a l'ordre public

     En l'espèce, ce n'est tellement la gravité des faits reprochés qui a pu causer un trouble à l'ordre publique mais plutôt la médiatisation de la réaction compréhensible du père de la victime. au maintien en liberté du conducteur de la moto. qui a constitué le trouble. Comme l'a souligné F. Zocchetto, dans le Rapport fait au nom de la Commission des lois sur le projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, « il serait paradoxal que le mis en examen ait à supporter les conséquences d'une publicité qu'il n'a pas provoquée et dont il se dispenserait, le plus souvent, volontiers » .

     Cette polémique a de plus un effet pervers. Les tenants de l' autorité, en s'emparant de cette affaire risquent de provoquer le contraire de ce qu'ils souhaitaient. En contestant deux décisions judiciaires, ils affaiblissent l'autorité des juges, ce qui ne peut que favoriser le désordre. La Justice a besoin de sérénité et doit pas céder à l'émotion. Il est vrai que souvent les lenteurs de la justice sont excessives mais cela reste préférable au lynchage. Le lynchage, fut-il médiatique, est l'antichambre du déni de justice. Messieurs les commentateurs, n'accusez pas les juges, mais, si vous le croyez nécessaire, militez pour un changement de la Loi , avec le risque de bafouer les droits de l' homme. Rappelez vous cependant que la mise en détention sans jugement est l'outil préféré de tous les régimes dictatoriaux.