Comment lutter contre l'abstention?

     Après l'abstention massive qui a marqué les dernières élections, tous les commentateurs argumentent à l'envie sur la crise démocratique qui frappe la France, voire même l'Europe. Toutefois, comme en médecine, il faut dans un premier temps analyser les symptômes de la maladie. Dans un deuxième temps on pose le diagnostique et dans un troisième temps on prescrit le ou les médicaments après avoir écartés toutes les soins réputés inefficaces. Lorsque l'on passe en revue les symptômes, on constate que presque tous sont assez anciens bien que probablement accentués par des moyens plus modernes de communication .

     La montée de l' abstention a commencé il y a plusieurs années. Elle frappe de manière plus ou moins forte les différents types de scrutins. Jusqu'à récemment, les élections municipales et présidentielles étaient les moins touchées, mais ces exceptions tendent à disparaître. On a pu croire que la proximité de l'élu par rapport au votant était un gage d'une faible abstention, ainsi que le démontrerait le faible taux de participation aux élections européennes qui seraient boudées en raison de l'éloignement des élus siégeant à Strasbourg ou Bruxelles . Or cette règle n'est pas évidente lorsque l'on compare les taux de participation pour élire un député ou un conseiller général qui est censé être plus proche mais ne fait pourtant pas le plein des électeurs. Il semblerait plutôt que le taux d'abstention est inversement proportionnel à la compréhension par l'électeur du rôle exacte de l'élu.

     Le deuxième symptôme est ce que certains ont appelé la giletjaunisation. Les gilets jaunes sont un mouvement spontané qui a pris de court tous les partis. Outre les revendications émises, et la violence croissante d'extrémistes extérieurs au mouvement, ce qui est spécifique de cette contestation, c'est la volonté des participants de refuser toute forme de représentation du mouvement. Dés qu'une tête dépassait, elle était immédiatement désavouée par la base . C'est pour cette raison que le mouvement n'a abouti sur rien, contrairement à ce qui s'était passé avec le mouvement poujadiste qui avait obtenu de nombreux élus au parlement. Ce refus de la représentation se traduit par un désir de démocratie directe.

      Le troisième symptôme est la montée des populismes. Les populismes ont toujours existé en république. Dans la république athénienne, on parlait de démagogues. Il y a toujours eu des gens pour promettre que « demain on rase gratis ». Le seul phénomène nouveau est que ce discours a plus de retentissement en raison des moyens modernes de communication : presse télévision, Internet.

      Assez proche du populisme, le complotisme surfe sur les réseaux sociaux en inventant des conspirations de tous ordres dont se rendraient coupables, entre autres, les élus. Les conspirationnistes agissent dans le but évident de disqualifier les élus dans l'opinion publique. Le complotisme est certainement la cause la plus importante de la montée de l' abstentionnisme. Pourquoi voter puisque n'importe comment tout est joué d'avance par les auteurs de la conspiration ? Lutter contre le complotisme est difficile car dés que l'on conteste la réalité du complot, les complotistes vous accusent d'en faire partie et se renforcent ainsi en disant « voyez comme on dérange »

     Le diagnostique tiré de ces différents symptômes n'est pas une crise de la République. Personne ne souhaite tomber dans la dictature et tout le monde est attaché aux principes de la liberté, de l'égalité et du vote des citoyens.

     Ce qui est en crise, c'est le principe de la représentation qui est inhérent aux démocraties modernes. A Athènes, les citoyens se réunissaient sur l' Agora et votaient. Avec plusieurs millions de citoyens, il a fallu inventer le système de la représentation: les citoyens délèguent à des représentants le soin de voter les décisions à prendre. Or, c'est cette délégation qui ne fonctionne plus, soit parce que le système est devenu trop compliqué et que les citoyens ne le comprennent plus, soit parce qu'ils n'ont plus confiance dans leurs délégués, soit enfin parce qu'ils souhaitent prendre les décisions eux-mêmes.

     Quelles sont maintenant les solutions pour remédier à cette crise de la représentation ? Certains expédients ont été expérimentés sans succès : ainsi de la proportionnelle censée permettre à toutes les opinions d' être représentées mais qui ne permet plus de dégager de majorités ; ainsi du mandat présidentiel réduit à 5 ans avec les élections législatives dans la foulée qui ne permet pas aux citoyens de contester l'action présidentielle pendant toute la durée du mandat; ainsi du non cumul des mandats censé éviter la professionnalisation du personnel politique mais qui éloigne le député des réalités du terrain.

      Plus récemment, après la crise des gilets jaunes, on beaucoup parlé du RIP et des précautions qui devaient être prises avec cette forme de démocratie directe. (cf la page « après les gilets jaune, le RIP »). En ce qui concerne les conventions citoyennes tirées au sort, c'est probablement l' idée la plus absurde du quinquennat. ( cf la page « La Représentation Nationale est-elle en danger?»)

       La France Insoumise propose un système de révocation des élus dés qu'ils prendraient une décision qui ne plairait pas aux électeurs. Ce n'est pas étonnant que cette suggestion émane d'un parti qui ne se cache pas d' être populiste. Gouverner, c'est prendre des décisions qui sont nécessaires même si elles peuvent être impopulaires. Le système de révocation des élus condamnerait les gouvernements au plus parfait immobilisme et les élus à pratiquer le clientélisme. Si je suis élus d'une circonscription rurale , je ne voterai aucune loi qui soit susceptible de déplaire aux paysans alors que, dans une banlieue ouvrière, je me garderai de toute réforme qui puisse chagriner le monde du travail.

       Depuis le taux d' abstention record des élections régionales et cantonales, on entend de plus en plus parler du vote par correspondance voire par Internet. Cela paraît séduisant à deux inconvénients près, comme l'a très bien souligné Dominique Reynié de Fondapol. D'une part il existe un risque certain de hackage. Quand on voit la facilité avec laquelle les hackers se sont introduits dans les logiciels du pentagone, on peut légitimement être inquiet malgré les assurances des informaticiens. Même s'il n' y a pas d'intrusion malveillante dans le système de vote par internet, rien n' empêchera les soupçons comme on a pu le voire avec les complotistes Trumpiens. Le second risque est encore plu grave : comment garantir que des votes exprimés via internet ou par correspondance ne l'ont pas été sous la contrainte ou la menace. Comment vérifier que ce vote n'a pas été acheté ? L'obligation légale de passer par un isoloir est le seul moyen d'empêcher ce genre de pression même si des mafieux, acheteurs de vote, vérifient que le contrat est bien exécuté par un pliage particulier imposé au votant et reconnaissable lors du dépouillement. Heureusement cette pratique demeure très marginale.

     Toutes ces solutions ont pour la plus part été testées dans différents pays sans donner de résultats probants. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de remède ?

     Le vote obligatoire existe dans de nombreux pays. Il n'est efficace que s'il est assorti d'une sanction relativement lourde. Les politiques auront-ils le courage d'oser cette réforme? Rien n'est moins certain. A l'évocation de cette perspective, on entend déjà couiner les droit-de-l'hommistes de tous bords qui associent cette mesure aux régimes de la Corée du nord ou de la Chine...

       A défaut du vote obligatoire, peut être la solution pourrait-elle être trouvée dans une simplification du système électoral. Il existe à ce jour six consultations durant un quinquennat: la présidentielle, les législatives, les européennes, les régionales, les cantonales et les municipales, toutes avec des procédures de maintien au second tour différentes. Le mille-feuille électoral est tout aussi complexe que le mille-feuille administratif tant décrié. Les électeurs s'abstiennent lorsqu'ils ne comprennent pas l'utilité de leurs votes. Combien d'électeurs connaissent-ils réellement les compétences particulières dévolues à chacun de ces élus ? Faut-il regrouper ces élections en une seule journée comme aux USA ? L'expérience du regroupement régionale / cantonale a démontré la difficulté d'organisation que cela entraîne sans motiver pour autant les électeurs.

     Un député, élu au suffrage universel direct, qui est censé incarner la souveraineté nationale, passe souvent plus de temps à intervenir en faveur d' électeurs de sa circonscription qu'à étudier les projets de loi. Par contre, les sénateurs , élus au suffrage universel indirect, font un remarquable travail législatif que tout le monde reconnaît. N'existe-t-il pas là une piste à creuser ?

        En même temps que les municipales, on pourrait imaginer un vote au suffrage universel chargé d'élire de grands électeurs qui recevraient mandat pour élire à leurs tours les députés européens, les sénateurs, les conseillers régionaux, et départementaux. Les grands électeurs voteraient par collèges correspondant aux circonscriptions en jeu . Pour certaines de ces élections par les grands électeurs, on pourrait introduire de la proportionnelle alors que pour d'autres on garderait soit le système majoritaire uninominal à deux tours soit le scrutin de liste. Les différents collèges n'aboutiraient pas forcement aux mêmes majorités suivant les différentes élections. Sans nul doute, cette élection des grands électeurs devrait mobiliser les foules puisque toute la vie politique locale et nationale en dépendrait. Les électeurs seraient motivés car ils verraient l' utilité de cette élection sans nécessairement connaître dans le détail les modalités de vote des grands électeurs. La République s'en trouverait renforcée par un vote massif des citoyens et un vote tout aussi important des grands électeurs. Le suffrage indirect est tout aussi démocratique que le suffrage directe.


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