Faut-il censurer internet?

     Le développement d'internet a induit l'apparition d'une nouvelle forme de relations sociales directes à travers les réseaux sociaux. Tout un chacun peut communiquer soit avec une personne précise, soit avec une catégorie définie de personnes amies ou followers, soit avec un auditoire d'inconnus. Ces communications, quoique non contrôlées par les sites qui les hébergent, sont néanmoins analysées par des algorithmes qui permettent de catégoriser les lecteurs dans le but de leurs servir des contenus correspondant à leurs choix supposés. Il n'existe aucun contrôle sérieux sur le contenu des messages envoyés et reçus. Chacun peut affirmer ce qu'il veut, sans qu'l lui soit demandé la moindre justification des ses dires. Certaines organisations ont très vite compris l'influence qu'ils pouvaient obtenir par l'intermédiaire de ces réseaux et n'hésitent pas à soutenir des contre-vérités voire à travestir une évidence.

     L'arrivée de l'Intelligence Artificielle a constituée une révolution en ce que des images peuvent être trafiquées et de faux messages peuvent être divulgués en empruntant la voix et le visage d'une sommité pour raconter n'importe quoi. Cela est d'autant plus inquiétant que certains états totalitaires n'hésitent pas à s'en servir pour diffuser leur propagande. A ce stade, l'information n'est plus crédible, l'image même peut être trompeuse, et les discours d'une autorité falsifiés. La méfiance s'installe avec pour conséquence le complotisme : toute vérité qui me dérange est le fruit d'une conspiration destinée à me tromper. Dés lors le complotiste s'enferme dans sa vérité et refuse toute discussion qui risquerait de le déstabiliser. Le complotiste ne cherche pas tant à prouver qu'il a raison mais préfère discréditer celui qui soutient une autre théorie en affirmant qu'il ment parce qu'il est payé par une entreprise puissante voire un état étranger. La certitude étant la mère de l'intolérance, les haines se développent entre les tenants d'opinions contraires qui refusent toutes discussions. La multiplication des usines à troll conçues par des états totalitaires pour déstabiliser les démocraties conforte les complotistes.

     Pour éviter cet état de fait certains préconisent que les hébergeurs soient astreints à un contrôle des informations qu'ils diffusent. La difficulté commence lorsqu'il s'agit de définir quelle vérité est bonne et comment sont choisis les modérateurs chargés du contrôle. Or, si l'on se referre à la liste des personnes persécutées par les différentes formes de censure (de Galilée à Lavoisier en passant par Locke et Fontenelle), on ne peut que redouter toute forme de censure. La liberté d'expression, qui est la base de toute démocratie est donc bien menacée et l'autoritarisme démagogique est à nos portes. Pour réintroduire ce dialogue apaisé et la liberté d'expression plusieurs autres axes devraient être étudiés.

     Une première solution consisterait à interdire l'anonymat sur internet. Tous les auteurs de messages comme les lecteurs devraient pouvoir être reconnus de manière certaine à l'aide d'un identifiant infalsifiable délivré par une organisation internationale. On peut espérer que certains hésiteront à tenir à visage découvert des propos contraire au sens commun et les lecteurs pourraient avoir ainsi honte de leurs lectures.

     Il serait peut-être aussi judicieux de rendre payant tous messages déposés ou lus sur internet. Pourquoi en effet payer pour envoyer une lettre, téléphoner, lire un livre ou regarder la télévision et ne payer  pour communiquer sur Internet ? Si chaque consultation ou publication était payante, même symboliquement, beaucoup d'inepties disparaitraient des écrans. Taxer très fortement les publicités sur internet permettrait en outre de sauver la presse écrite qui est en train de disparaitre faute d'annonceurs.

     Un troisième axe serait d'exiger que les lecteurs aient obligatoirement atteints un certain âge. L'interdiction d'un accès direct à internet aux enfants aurait pour but de les protéger de la pornographie, de la violence et de beaucoup d'inepties qu'ils peuvent croire par manque de discernement.

     Les libertariens vont mettre en avant que la consultation libre et gratuite d'internet est utile pour permettre aux populations défavorisées l'accès au savoir ; que toutes formes de limitation au libre accès et à la liberté d'expression sont des régressions et des retours à l'Inquisition ; que toute limitation n'est que le reflet d'une une volonté des élites à préserver leurs avantages et imposer leur culture.

     Si l'on ne veut pas restreindre l'accès à Internet, il serait indispensable de développer le sens critique dans l'éducation. Apprendre à élaborer un raisonnement. N'affirmer que ce l'on est en mesure de prouver. Distinguer l'opinion du raisonnement. Présenter la thèse et l'antithèse avant de conclure dans une synthèse. Il faudrait également mettre en garde les lecteurs exposés au biais de confirmation par lequel tout un chacun privilégie ce qui va dans le sens de ses croyances. A cet égard les réseaux sociaux sont particulièrement pernicieux en triant les messages diffusés aux lecteurs dont les contenus vont dans le sens de ce que les algorithmes ont sélectionnés comme ayant déjà été appréciés par ce lecteur.

    Une réforme de l'éducation est certainement le meilleur rempart contre l'addiction à la pornographie, aux jeux d'une extrême violence et aux fake news. Mais ses effets seront longs à venir dans le temps. Or il y a urgence et nous regardons ailleurs ...