FAUT-il RÉTABLIR L'ISF?
PAR JEAN LOUIS DE BOURBON
L'impôt sur le capital a connu en France des appellations diverses qui sont assez significatives. Lors de sa création sous le président Mitterrand, il s' agit d'un impôt sur les grandes fortunes . A vrai dire les fortunes touchées ne sont pas si grandes que ça puisque le seuil d' imposition est fixé à 3 millions de Francs soit 460 000 euros. Supprimé en 1986, l'impôt revient sous le nom d'Impôt de Solidarité sur la Fortune. La solidarité commence à 4 millions de Francs soit 610 000 euros. Il est supprimé en 87 mais revient en 89. En 2011, le seuil passe à 790 000 euros et le taux est modifié à la baisse mais en 2012 François Hollande annule cette baisse. Enfin avec le président Macron l'impôt sur le capital ne frappe plus que le patrimoine immobilier et prend le le nom d'Impôt sur la Fortune Immobilière.
Ce bref historique mouvementé suffit à démontrer que l'imposition du capital en France est une question qui ne fait pas l' unanimité.
L'ISF a été présentée comme un moyen de justice fiscale destiné a faire contribuer chaque citoyen selon ses moyens, mais son but véritable, pour les inspecteurs des finances, est de procéder à une redistribution de la fortune.Ils se sont inspirés de la thèses de Thomas Piketty, selon laquelle le taux de rendement du capital est plus élevé que le taux de croissance du revenu et de la production. Le capital se reproduit plus vite que la production et le détenteur de capital se transforme en rentier. Pour lutter contre cette spirale, il convient donc de taxer le capital par un impôt progressif. L'ennemie est donc la rente qui doit donc baisser pour ne plus dépasser le taux de croissance. Ce raisonnement purement économique reçoit un habillage social démagogique en prétendant notamment que l' ISF servirait à financer le RSA.
Thomas Piketty lui même était conscient que cette taxation n' était possible que si elle se faisait au niveau européen. Au niveau international, il existe, non pas un dumping fiscal ( il n'y pas de vente à perte), mais une concurrence fiscale. Et dans un environnement de libre circulation des personnes et des biens, c'est naturellement vers la plus faible taxation que le capital va se tourner.
La création de lGF, puis de l' ISF n'a échappé à cette concurrence et l'on a assisté à un amplification de l'exode fiscal qui existait déjà en raison d'une taxation des hauts revenus non concurrentielle au niveau européen. Beaucoup d'acteurs , de chanteurs et de footballeurs ont rejoins les capitaines d'industries bien que l'exil des premiers soit mieux accepté que celui des derniers, sans doute parce que leur fortune est due à leurs seuls talents alors que les réussites industrielles ou commerciales ne seraient dues qu'à l'exploitation des travailleurs.
Christian Saint-Etienne estime à 20 milliards d' Euros la perte de revenus causée par l' ISF .Compte tenu de ce que l' ISF a rapporté en 2017 environ 5 milliards d' Euros, il s' agirait donc d'une perte nette de 15 milliard d'Euros par an. Ce phénomène de libre marché fiscal existe du reste également pour les entreprises qui n'hésitent pas à délocaliser leurs sièges sociaux et leurs revenus à travers des filiales qui empochent tous les bénéfices d'où un manque à gagner estimé à 8O milliards d' euros.
Cet exode fiscal des hauts revenus et grandes fortunes nuit naturellement à l'investissement. C'est la raison pour laquelle le président Macron a remplacé l' ISF par L'IFI. Les biens immobiliers étant par nature difficilement délocalisables, ils sont restés taxables alors pourtant qu'ils subissaient déjà une première imposition à travers la taxe foncière qui, avec la disparition de la taxe d' habitation ne pourra qu'augmenter pour répondre aux besoins des collectivités locales. Il y a en effet fort à parier que la compensation promise par l' état ne contrebalancera pas durablement cette perte de revenus.De plus le revenu net des biens immobiliers, déduction faite de la taxe foncière et de l'IFI est le plus souvent inférieur au taux de croissance. L'épargne investie dans l'immobilier est souvent destinée à palier à des régimes de retraite défaillants. Pourquoi l'investissement dans l'immobilier locatif est-il sanctionné alors qu'il faudrait construire 500 000 logements par an en France ?
Les partisans du retour à l' ISF avancent que la suppression de la taxation des biens mobiliers n' a pas entraîné de retour significatifs des exilés fiscaux. Mais il faut bien reconnaître que l'imprévisibilité fiscale n'encourage pas ce retour.
Le plus absurde dans cet impôt est que les très grandes fortunes y rechapent soit par l'optimisation fiscale, soit par l'exil fiscal. L'effet redistributif est donc manqué et l'impôt frappe surtout les CSP + déjà fortement imposés par l' IRPP progressif.
Le retour à l'ISF sur les biens mobiliers ne rapportera qu'un milliard d' Euros. La relative modicité de ce chiffre montre bien que les fortunes mobilières savaient échapper à l' ISF. Redistribué aux citoyens ayant un revenu inférieur au seuil de pauvreté soit environ 8 millions de personnes, ce milliard représenterait une augmentation de revenu mensuel de 10 euros. Le retour à l' ISF ne saurait donc être une réponse efficace pour répondre à l' attente des gilets jaunes d'autant que beaucoup de ceux-ci sont au dessus du seuil de pauvreté et ne seraient donc pas concerné par cette aumône.Le milliards d' euros de perte de recette causé par le remplacement de l'ISF par l'IFI est à comparer aux 157 milliards que procure la TVA à l' État. Le retour à l' ISF représenterait une augmentation de recette équivalente à un peu moins 0,2 point de TVA.
Par contre le gouvernement va devoir trouver un financement pour la hausse de la prime d' activité et l'abandon de la taxe carbone estimés à 10 milliards d'euros . Il va donc falloir augmenter les recettes de l' État. Une hausse d'un point de la TVA pourrait suffire. On sait que la hausse d'un point de TVA ne serait pas intégralement répercutée et que donc la répercussion sur le pouvoir d' achat serait très limitée. De plus la hausse de la TVA pénalise les plus riches alors que les plus pauvres qui consomment moins payent moins de TVA. La hausse ne concernerait pas le taux réduit, et dans une logique redistributive on pourrait revenir à un taux majoré de TVA sur les produits de luxe.
Reste l'aspect symbolique d'un rétablissement de l' ISF. On a pu voire combien cette mesure était réclamée sur les rond-points. Faut-il dés lors donner satisfaction aux gilets jaunes pour faire baisser la pression de la rue? Le risque des mesures symbolique est que par définition elle n'ont qu'un impact symbolique et peu de conséquences pratique. En l' occurrence le rétablissement de l' ISF n'entraînant aucune amélioration concrète pour les plus défavorisés ne risque -t-elle de créer une frustration ?
Le Président Macron a expliqué qu'il n' entendait pas revenir sur le remplacement de l' ISF par L'IFI, mais il avait été dit la même chose pour la taxe sur les carburants et les 80KM /H.
En terme de sécurité fiscale, on ne peut que lui donner raison car l'incertitude sur l' ISF est certainement le plus mauvais signal que l'on puisse donner en terme d'investissement. La sécurité juridique doit l' emporter sur la symbolique. Dans une démocratie apaisée la réponse ne ferait aucun doute mais, dans un climat politique mouvementé, il est sage de rapidement calmer les esprits. La crise des gilets jaunes est certainement un signal tout aussi mauvais pour le retour des capitaux.Le prolongement de la crise serait tout aussi catastrophique. L'image de la France a beaucoup souffert. De même qu'il faut savoir terminer une grève, il faut aussi savoir rapidement désamorcer une crise.Le grand débat suffira-t-il ? En tout état de cause , il est certain que le retour de L'ISF sera réintroduit dans le débat. Cette question risque donc de rester d'actualité.