la bombe du communautarisme

par Jean Louis de Bourbon.



      Alors que les ruines du port de Beyrouth fument encore, une seconde explosion menace ce pays en raison de la lassitude de la population face à l'impéritie et la corruption des dirigeants traduisant la faillite du système communautaire.

      Sous l' Empire Ottoman, le système des millets institutionnalisait une ségrégation des populations en fonction, non de leurs origines ou langues, mais de leurs religions. Les Anglais et les Français, profitant de l'affaiblissement de l' Empire Ottoman ont joué de la rivalité entre les communautés libanaises, les premiers soutenant les Druses alors que les seconds privilégient les maronites. Les chefs locaux s'appuyant chacun sur leurs communautés obtiennent en 1845 que chacune d'elle soit représentée par un juge et un conseiller au sein d'un conseil.

      C'est dire que le communautarisme au Liban est une vielle histoire. Aujourd'hui pas moins de 18 communautés sont reconnues, chacune appliquant son droit propre pour ce qui concerne les affaires familiales et successorales.

      La guerre civile renforcera la rivalité entre communautés, chacune créant sa milice armée pour se protéger. Après les accords de Taëf, on assiste à un véritable partage du pouvoir ministériel entre les communautés. Si l'une obtient tel ministère, l'autre doit obtenir tel autre. Les trois principales fonctions à la tête de l' État sont reparties de la même manière ainsi que les 120 postes administratifs les plus importants. Ce n'est donc plus l'élection ou le mérite personnel qui prévaut, mais l'appartenance à telle ou telle communauté. Ce phénomène est amplifié par la survivance de milices armées qui cherchent à s'imposer localement.Cette répartition des pouvoirs non-démocratique favorise les prébendes et la corruption gangrène tout.

      Dés lors, il ne faut plus s'étonner qu'après la catastrophe du port, une partie de la population manifeste contre la classe dirigeante actuelle. Cette fronde arrivera-t-elle à renverser pacifiquement ce système séculaire ou bien est-ce que cela finira par un retour de la guerre civile? L'exemple libanais nous montre à quoi l'exacerbation des particularismes communautaires peut mener.


     En France, sous la quatrième et sous la cinquième République, il est d'usage, lors de la formation d'un gouvernement, de respecter un certain équilibre géographique et religieux. C'est ainsi qu'il y a quasiment toujours un ministre ou secrétaire d' État ayant des attaches corses. Mais il s'agit là d'un usage non contraignant dont le non-respect n'entraîne pas de crise institutionnelle. De même, le député d'une circonscription n'est pas, et ne doit pas être, le représentant de ses élus. Il est, et doit rester, le représentant de la Nation, même si parfois il peut intervenir pour faciliter la solution d'un problème locale. Le jour où le député devient le représentant d'une communauté, il privilégiera les intérêts de sa communauté au détriment de l'intérêt national. Pour obtenir son intervention, certains membres de la communauté n'hésiteront à faire miroiter une récompense en reconnaissance du service rendu. Les corrupteurs deviennent de plus en plus riches, et l'homme politique devient un pantin entre leurs mains. La corruption est la conséquence logique du communautarisme en ce qu'il remplace l'intérêt général par l'intérêt particulier.

      Les communautés minoritaires ont tendance à se regrouper et c'est bien normal. Mais ce rassemblement ne doit pas empêcher l'intégration dans la Nation. Encourager une minorité ethnique ou religieuse à se différencier en revendiquant un particularisme culturel revient à l' isoler de la majorité et donc à l'ostraciser. C'est le meilleur moyen de favoriser le racisme. Il ne s' agit pas bien entendu de demander aux minorités de renoncer à leurs racines. Mais elles ne peuvent revendiquer un statut à part ni traitement à part et encore moins une législation particulière. La charia ou le droit canon peuvent réglementer une pratique religieuse mais en aucune manière fixer les règles de droit. L'interdiction de la polygamie, du mariage forcé de filles mineures et de l'excision, de même que le droit à l' avortement, ne peuvent être remis en cause parce qu'une loi religieuse l'autorise ou l'interdit.

      Le communautarisme, comme cela est démontré par l' exemple libanais, en provoquant un replis identitaire favorise l'idée que la communauté doit pouvoir se défendre elle-même contre les agressions dont elle pourrait être victime. D'où l'apparition de bandes ou de milices qui prétendent imposer leur propre police. Les affrontements récents entre tchétchènes et maghrébins à Dijon sont une parfaite illustration de ce danger. Dans les cités de non-droit, les dealers règnent sans partage, et pour protéger leurs territoires n'hésitent pas à s' entre-tuer. Toute une partie de la population vit de ces trafics. Si l'on n'y prend pas garde, ce type affrontements sanglants entre bandes ayant le soutien des communautés dont elles sont originaires pourrait se généraliser.

      Pour lutter contre l'influence politique de l'église catholique, la gauche avait inventé au début du 20° siècle le concept de laïcité. Aujourd'hui , par crainte d'être taxée d'islamophobie, la gauche n'ose plus en parler. Pourtant la laïcité et l'égalité des droits sont indispensables. Sans l'un et sans l'autre notre démocratie pourrait elle aussi exploser.