LA CENSURE MEDIATIQUE
Une question agite le monde médiatique : les réseaux sociaux avaient-ils le droit de se comporter en véritable tribunal en censurant la parole du Président Trump en supprimant ses comptes sur Twitter et Facebook le 7 janvier 2021.
Un premier incident était déjà intervenu lorsque les principales chaînes de télévision américaine avaient interrompu, de leur propre chef, la diffusion d'un discours de Trump le 6 novembre 2020. Il est curieux de constater que ce premier incident n'avait pas entraîné une si forte polémique alors qu'il était tout aussi surprenant. La plupart des chaînes, dont la très républicaine Fox News, ont en effet interrompu la retransmission en direct du discours du Présidents au motif qu'il mentait en affirmant, contre les décisions des tribunaux, que les élections avaient bel et bien été truquées. La violence de cette réaction s'explique d'une part par le fait que ce sont ces mêmes chaînes de télévision qui annoncent le résultat des élections. Prétendre que le résultat était faux, c'était donc accuser les chaînes de trucage. Il faut d'autre part avoir toujours présent à l' esprit qu'aux Etats Unis le mensonge d'un président est quelque chose d'inadmissible. Sur les chaînes française, on n'entend guère de critique à l'égard de cette censure des chaînes américaines. Assez curieusement, la brutalité de cette censure n'a pas vraiment provoqué de débats. Tout aussi curieusement le discours du même Trump en date du 6 janvier, dans lequel il lance un véritable appel à la sédition, ne sera pas coupé.
Par contre quelques jours plus tard, lorsque les comptes Twitter et Facebook de Trump sont supprimés, on assiste à une levée en masse contre la dictature des GAFA. Cette différence d'appréciation provient probablement de ce qu'Internet est vu comme un espace de liberté de la parole que l'on peut censurer, alors que la télévision apparaîtrait plus comme un espace de vérité, comme l'atteste cette remarque souvent entendue : « je t'assure que c'est vrai, je l'ai vu à la télévision ».
Juridiquement, il faut tout de suite souligner que les chaînes comme les réseaux sociaux sont des sociétés privées. Elles sont donc parfaitement en droit d'exercer un contrôle sur leur contenu. De même que personne ne voit à redire si un organe de presse ne retranscrit pas un discours du président, ou n'en relate qu'une vision politiquement engagée. Personne ne trouverait non plus rien à dire si une société de distribution de prospectus refuse de propager des tracts illégaux.
Pour se soustraire à toute responsabilité éditoriale, les réseaux privés soutiennent qu'ils ne sont que des vecteurs de courriers d'auteurs qui doivent, eux, assumer les conséquences de leur écrits. De même qu'une société de mailing n'est pas responsable des publicités mensongères qu'elle diffuse, les GAFA refusaient de vérifier les contenus des messages envoyés sur le net. Tout au plus acceptent-ils de supprimer les messages qui leur sont signalés comme inappropriés et de fermer les boites aux lettres dont ils émanent. C'est ce qu'ils ont fait pour le président Trump, mais seulement après la marche sur le Capitole au motif qu'il existait un risque qu'il réitère un appel à l'insurrection.
Or ce contrôle à posteriori est inefficace, car le message, le plus souvent, s'est déjà répandu comme une traînée de poudre. Pour être efficiente, la vérification doit se faire avant la publication, comme c'est le cas pour toutes les censures. Il s'agit alors d'une autorisation préalable de publier, autrement dit une imprimatur. Donner un tel pouvoir de censure n'est pas sans conséquence : les réseaux sociaux deviendraient alors des media comme les autres avec des comités de rédaction qui vont définir une ligne éditoriale, surveiller les contenus des articles pour se prémunir d'une responsabilité pénale en cas de contenu illicite. Compte tenu de la considérable masse de données à vérifier, il est évident que ce contrôle sera confié à des algorithmes . L'Intelligence de l'homme serait donc soumise à l'Intelligence Artificielle de la machine.
Cette censure sera-t-elle efficace ? Ce n'est pas certain, au début tout au moins, l'homme pourra ruser avec la machine en usant de périphrase. Serai-je censuré si j'exhorte les citoyens à faire un pèlerinage déterminé vers le Capitole ? Fermer un compte est tout aussi illusoire car il est probable que le compte fermé sera très vite réouvert sous un autre pseudo et que les boites mail prendront le relais, car rien de plus facile que de multiplier les contacts pour divulguer par mail un contenu censuré sur un réseau social . Interdire un mail est beaucoup plus malaisé , car il s'agit alors de violer le secret des correspondances. Seuls des pays dictatoriaux sont disposés à prendre de telles mesures. Quoiqu'il en soit, les censures ont toujours échoué car, de même que les libelles étaient imprimés à l' étranger sous l'ancien régime, de même les samizdats dupliqués au papier carbone se diffusaient en URSS et les cassettes de Komehi étaient distribuées sous le manteau dans l'Iran du Schah.
Il existe une autre solution déjà pratiquée qui est de laisser les internautes faire eux-mêmes la police en alertant l'hébergeur des contenus délictueux. Mais les hébergeurs expliquent qu'ils faut être très prudent car une coterie peut se donne le mot pour signaler un contenu licite en le signalant comme illicite. Il est donc nécessaire de vérifier qu'il n'existe pas de liens entre les auteurs des signalements en question. Le nec plus ultra du complotisme est de réussir à manipuler la censure.
Il semble bien que l'utopie des réseaux sociaux où tout le monde pouvait dire n'importe quoi sans aucun contrôle est en train de s'écrouler. Face à un contrôle de plus en plus sévère, les réseaux sociaux devraient se multiplier en se spécialisant : il y aura des réseaux de gauche , d'autres de droite ; il y en aura pour les jeunes , pour les vieux, pour les LGBT, pour chaque ethnie, et pour chaque religion. C'est déjà le cas pour la presse écrite. Les biais cognitifs, qui veulent que l'on aille toujours vers un contenu qui conforte ses propres intuitions, aboliront les polémiques sur ces réseaux spécialisés puisqu'ils ne seront plus lus par d'éventuels contradicteurs La multiplication de réseaux sociaux soumis à une ligne éditoriale propre n'est cependant pas possible tant qu'existe le monopole des GAFA qui , comme tout monopole, est le véritable ennemi de la liberté. Plutôt que de se scandaliser de la censure des GAFA, les partisans de la liberté devraient se mobiliser contre cette situation monopolistique quasi mondiale .Qu'ils se rassurent cependant: les monopoles finissent toujours par s'écrouler.