la dispute des bassines

      Prônes beaucoup d'écolo-idéaliste, le retour à un état de nature est le modèle à atteindre afin de préserver la vie sur notre planète. Mais ce retour ne ressemblerait pas à une paisible promenade ponctuée par la cueillette des fruits nécessaires à la vie. Comme l' expliquait Hobbes, dans l 'état de nature originelle, l'homme est un loup pour l' homme.

     Par le contrat social, l'homme accepte de perdre une partie de sa liberté et de renoncer à la violence pour se soumettre à la Loi acceptée par tous. La civilisation , c'est passer de la guerre de tous contre tous, à un état de droit dans lequel le débat remplace la violence .

      Les manifestations ultra-violentes de Sainte-Soline sont-elles une préfiguration de ce retour à la nature. Il est évident que vouloir détruire par la violence une installation validée par toutes les instances légales au motif qu'on la considère personnellement, à tors ou à raison, comme dangereuse, est effectivement un retour à la guerre de tous contre tous autrement dit une régression de la civilisation et de la démocratie.

      Sur le plan des relations internationales, on assiste au même phénomène. Avec la fin de la guerre froide, on a voulu croire avec Francis Fukuyama, que le temps de la guerre était fini. L'illusion fut de courte durée et la guerre de Crimée démontre qu'un état totalitaire demeure un loup pour son voisin. Force est de constater une régression du nombre d'états de droit par rapport aux états totalitaires. Les Trump, Poutine, Xi Jiping, Kim Jong-un , et autres Erdogan n'hésitent pas à bafouer les règles de droit pour se maintenir au pouvoir et faire disparaître violemment toute opposition.

      Comment expliquer cette régression du droit au profit de la barbarie ?

      Une première explication peut consister dans le recul des religions et plus particulièrement du Christianisme. La grande majorité des religions prônent en effet la paix et le respect de l'autre. Pourtant, quand deux religions s'affrontent, on atteint souvent des degrés de violences paroxysmiques dues à une intolérance extrême. La religion prêche la mansuétude pour ses propres fidèles mais au contraire abuse d'un sectarisme envers ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances. C'est la raison pour laquelle le recul des religions a pu apparaître à certains comme un progrès sur le chemin de la démocratie.

      Une autre raison pourrait résider dans le relativisme idéologique issue des déconvenues du positivisme. On a cru , un temps, que la science allait tout expliquer et que, grâce à elle, le doute disparaîtrait. Or les théories scientifiques se succèdent et souvent se contredisent. Le quidam, confronté à des théories contradictoires, n'est plus sûr de rien. Tout étant relatif, il ne se fie plus à rien ni à personne, si ce n'est à lui-même et à sa force. Si une idée ou un état me dérange, j'ai recours à la violence plutôt qu'à la négociation qui pourrait déstabiliser mes faibles certitudes. Plutôt que risquer une controverse à l'issue incertaine, le recours à la violence me confirme dans mes convictions.

      Certains jeux vidéos, certains films, certains sports de combat extrêmes, tendent également à banaliser une certaine fascination pour la violence, notamment chez les jeunes . La violence est pressentie comme une manière de se valoriser aux yeux des autres faute de pouvoir le faire autrement. Ce n'est pas nouveau que les loups dévorent les moutons, mais ce qui est peut-être nouveau, c'est qu'au lieu de plaindre le mouton, on admire le loup que l'on cherche à imiter.

     La violence est souvent assimilée au recours à la force.Or il est très important de différencier ces deux notions : la force défend le droit, alors que la violence outrage le droit . Cet amalgame entre force et violence n'est pas nouveau. Les fascistes se réclamaient de la « virtus » romaine pour justifier leurs violences, alors que la virtus, c'est le courage et la force d'âme mais aussi l''honnêteté et la droiture. Il n'existe pas de violence légitime, par contre le recours à la force est le privilège de l'état de droit. Tous les extrémistes qui nous bassinent avec la violence légitime devraient renoncer à cet oxymore qu'ils n'emploient que pour justifier leur mépris du respect de la règle de droit. Andreas Malm a théorisé le radicalisme violent en ce qu'il permettrait de créer une pression sur les gouvernants qui, pour désamorcer la crise, seraient ainsi contraints d'accepter les revendications des modérés . Quand bien même un certain nombre de militants d'extrême gauche pourraient mettre en pratique cette théorie, cela n'explique pas ni les violences individuelles, ni les violences internationales .

      L'éducation moderne a certainement une responsabilité dans cette généralisation du non respect de la règle. Si je dis à un enfant, il est interdit de traverser la rue quand le feu piéton est rouge, je fixe une règle dont la violation entraîne une sanction par l'amende. Par contre si j'explique à l'enfant qu'il ne faut pas traverser au feu piéton rouge parce qu'il risque de se faire renverser par les voitures, j'énonce une précaution qui, un jour ou l'autre, sera enfreinte au motif qu'il n'y avait pas de voiture, donc pas de danger et qu'il était donc légitime de traverser à ce moment là. C'est l'éternel débat de la primauté du légitime sur le légal. Or ce postulat a été instauré par le général de Gaulle pour justifier sa propre désobéissance . Il faut cependant souligner que seul l'état de nécessité peut justifier la désobéissance à la Loi et que c'était le cas du général de Gaulle qui ne disposait d'aucun autre moyen pour continuer la lutte contre le nazisme. Qui oserait aujourd'hui prétendre qu'il existe un état de nécessité pour s'opposer à la création de réservoirs d'eau utiles à l'agriculture et destinés à limiter le pompage dans les nappes pendant la période sèche, pour s'opposer à une loi validée par les instances démocratiques ?

      La véritable raison de ces flambées de violences réside dans l'abandon d'une règle morale fondamentale : la fin ne saurait justifier les moyens. L'abandon de ce précepte permet les violences privées pour assouvir n'importe quel désir, les violences collectives pour faire aboutir des idées que l'on croit justes et les violences internationales pour agrandir sa zone d'influence.

     Avant chaque élection, il faudrait pouvoir demander au candidat soumis au détecteur de mensonge s'il pense que la fin justifie les moyens. On aurait certainement des surprises...