LA MALADIE DE L'ABSTENTION

      Le résultat des dernières élections législatives n'est que la conséquence annoncée de la déroute de la candidature LR aux présidentielles. La responsabilité en revient d'abord aux conseillers de Valérie Pécresse qui ont cru bien faire en lui imposant en quelques jours de remplacer le raisonnement par la harangue. Ce n'était pas son style et elle en a perdu toute crédibilité. Pour convaincre, il fallait qu'elle reste elle-même. La candidature Zemour qui a fracturée la droite en est la seconde raison.

     C'est ce qu'à très bien compris Mélanchon : voyant qu'il n'avait pu se qualifier en se présentant seul, il a eu intelligence de bricoler à la hâte un agglomérat disparate lui permettant de tripler son nombre de députés. Macron a très ben compris que pour pouvoir continuer de gouverner par le centre, il lui fallait diaboliser le RN à l' instar des gaullistes qui se sont maintenus au pouvoir pendant plus de 20 ans de 1958 à 1981 en diabolisant le parti communiste. Cette tactique s'est effondrée quand Mitterrand a crée l'union de la gauche en bravant l'interdit frappant les communistes. Si les LR avaient su faire à droite la même chose que la NUPES a fait à gauche, ils auraient eu 250 sièges. Rallier sous la même bannière les LR, le FN et Reconquête n'est pas plus infamant que l' alliance des populistes de La France Insoumise, d' extrémistes verts, des communistes et des socialistes. A défaut de ces regroupements, la France va être gouvernée par le centre comme sous la IV et va refaire connaissance avec le régime d' Assemblée et son corollaire d'instabilité ministérielle qui sera amplifiée par les restrictions apportées stupidement dans l'usage du 49-3.

     De quelque bord qu'elles soient, nos éminences grises sont unanimes pour dénoncer une crise de régime se manifestant par une abstention croissante qui serait le reflet d'une perte de confiance dans la classe politique. Les extrêmes en tirent profit au détriment des partis dits de gouvernement. Pour remédier à cette méfiance, on a invoqué pêle-mêle la nécessité de réintroduire la proportionnelle, de revenir au septennat, de développer le referendum d'initiative populaire ou la possibilité de révoquer les élus, sans parler des conventions citoyennes. Rien ne prouve l'efficacité de ces mesures alors que la plus part de ces propositions auraient pour effet d'affaiblir le parlementarisme. Or la République parlementaire est la forme la plus aboutie de la démocratie.

     La question qui se pose est de comprendre pour quelles raisons les citoyens se détournent de politique. La classe politique, dans son immense majorité est honnête et les cas de corruption sont exceptionnels. Les élus travaillent beaucoup pour des rétributions qui sont loin d'être en rapport avec le travail fourni et les responsabilité encourues. Ce n'est donc pas la personne des élus qui est en cause. L'interdiction du cumul des mandats a été une erreur dans la mesure où souvent l'électeur se prononçait en fonction de la confiance que lui inspirait l' élu de terrain avec lequel il pouvait facilement entrer en contact direct dans sa mairie. A défaut de pouvoir discuter avec l' élu, l'électeur faisait confiance au parti auquel il appartenait.

     Il faut remarquer que le désintérêt augmente proportionnellement avec le niveau de fonction de l' élu . Les maires et les conseillers municipaux des petites communes échappent à cette désaffection alors que le comble du désintérêt est atteint avec les législatives et les européennes . Le maire d'une petite commune sera respecté parce que les décisions qu'il a à prendre sont facilement compréhensibles par ses électeurs. Plus le niveau de responsabilité augmente, plus la complexité des questions est difficile à appréhender. L'électeur se désintéresse de la politique parce qu'il n'est pas en mesure d'avoir un avis éclairé, et il se tourne alors vers les partis populistes qui lui offrent des slogans simplistes  éludant ainsi  les questions délicates.

      La constitution de la V République a été conçue par de Gaulle et Michel Debré pour lutter contre le « régime des partis » qui étaient censés fausser le jeu démocratique sous la IV République et être responsables de l'instabilité ministérielle. Or, on constate que le taux d'abstention est inversement proportionnel au nombre d' adhérents dans les partis. Depuis la dernière guerre, les citoyens ont eu tendance à se déterminer soit en fonction d'une idéologie, soit par fidélité à un homme providentiel. Depuis la fin de l'histoire telle que théorisée par Fukuyama, les idéologies sont mortes et les grands hommes sont aux abonnés absents. Dés lors, comme aux États-Unis, les partis sont devenus des machines à conquérir le pouvoir et ont totalement perdu leur vocation de relais entre l' élu et le peuple.

      Face à la complexité des questions qu'il faudrait exposer aux citoyens pour qu'ils soient en mesure de se prononcer en toute connaissance de cause, les démagogues préfèrent donner des réponses simplistes en ayant recours soit à la dénonciation de boucs émissaires , soit aux théories complotistes. Il est particulièrement difficile de lutter contre ces dernières car le fait même de contester l'existence du complot vous classe immédiatement comme en faisant partie.

      Les journalistes ont eux aussi une part de responsabilité en mettant souvent en exergue une phrase retirée de son contexte qui fera ensuite le buzz sur les réseaux sociaux et sera reprise en boucle par les chaînes d'information continue. L'alliance des populistes et des réseaux sociaux favorise l'invective au détriment de la controverse.

     Développer le respect de l'autre, apprendre à discuter sans se disputer, acquérir le sens critique, former à vérifier ses sources, enseigner à argumenter, tout cela devrait être la base d'un enseignement humaniste qui devrait être la mission première d'un parti politique. Former des militants capables d'exposer clairement les options du parti, organiser des débats, publier des ouvrages de fond, tout cela a été abandonné. Au lieu de ça, on gave les citoyens de théories et de savoirs pré-machés. .

    Il est aussi utile de former des citoyens que de former des ingénieurs ou des informaticiens. Le temp consacré à l'éducation civique devrait être aussi important que celui consacré aux mathématiques ou à la littérature. La vraie difficulté est de former des maîtres capables d'impartialité et de neutralité. La solution pourrait être de permettre à tous les partis politiques de venir à tour de rôle exposer leurs points de vue aux lycéens qui se porteraient volontaires. Une épreuve facultative au baccalauréat consisterait pour chaque candidat à exposer la thèse d'un parti tiré au sort puis d'en faire une critique personnelle. Capable d'exposer toute les tendances politiques et de les discuter, il est plus que probables que ces bacheliers voteraient et que petit à petit l' abstention baisserait. En se consacrant à cette mission d' éducation , les partis ne feraient que remplir leur tâche inscrite dans la constitution qui dispose que « les partis politiques concourent à l' expression du suffrage »