La nécessaire réforme du ministère de la justice

     Il est de plus en plus fréquent d'entendre des critiques visant la justice qui serait trop laxiste, trop répressive, trop lente ou trop rapide, à la botte du gouvernement ou trop politique. La Justice est rendue par des hommes et donc elle ne peut être parfaite. Le garde des Sceaux souhaite visiblement donner un coup de pied dans la fourmilière et proposerait des réformes toutes très ambitieuses.

     Espérons que ces réformes, dites capitales, ne seront pas des coups d'épée dans l' eau comme les deux précédentes qui n'ont rien changé. La réforme de la carte judiciaire et la création des tribunaux judiciaires remplaçant les TGI et TI ont ébranlé l' édifice sans apporter de réelles améliorations.

     A chaque nouvelle affaire qui heurte à juste titre l'opinion, ce sont les juges qui sont accusés, alors que c'est l' organisation même de la justice pénale qui doit être revue. La répartition des rôles entre les différents intervenants est trop complexe pour être intelligible : il est difficile à un non inimitié de comprendre que l'exécution des peines relève du procureur alors que l'application des peines appartient au juge judiciaire. La direction de l' enquête relève soit d'un membre du parquet soit d'un juge. Dans le système actuel ainsi que l'a démontré l'affaire d'Outreau, on demande au juge d'instruction d'être schizophrène puisqu'il doit enquêter à charge et à décharge, alors que bien évidemment il se fait assez vite une idée personnelle de l'affaire, dans un sens ou dans l' autre. Les magistrats sont submergés par des tâches qui ne devraient pas être de leurs ressorts.

     La justice pénale se déroule en trois phases : l'enquête, le prononcé de la peine et l' application de la peine. Les juges interviennent aux trois stades alors que leur véritable mission ne devrait concerner que le prononcé de la peine. A ces trois missions devraient correspondre trois corps distincts, avec des locaux différents et une autorité de tutelle propre. Le passage d'un corps à l'autre ne devrait être qu'exceptionnel.

     Le juge est là pour dire le droit, non pour mener une enquête. L'enquête doit être exclusivement confiée aux procureurs et à leurs services de police judiciaire. Les magistrats du parquet n'ont pas leurs places dans les tribunaux. Ils devraient être dans les commissariats, dans les préfecture ou au ministère de l'intérieur. Le procureur est le représentant de l'état et, en tant que tel, il doit appliquer la politique pénale voulue par le gouvernement. C'est lui qui décide de l' opportunité des poursuites et qui dirige l' enquête. Il est une partie au procès pénale et ne doit donc apparaître au tribunal que le jour de l' audience. Bien entendu pendant toute cette phase d'enquête, le contradictoire doit être respecté, les avocats doivent être informés et doivent pouvoir présenter des recours devant un juge en cas d'irrégularité de procédure . Le juge de la régularité de l'instruction remplace alors le juge d'instruction et il n'intervient que si une contestation s'élève à propos du déroulé de l'enquête. Si pour les besoins de l' enquête, le procureur souhaite une incarcération provisoire, il doit comme c'est le cas aujourd'hui saisir un juge des libertés qui fera ou ne fera pas droit à cette demande.

     La phase de jugement doit appartenir exclusivement au juge judiciaire. Pour cette raison, la procédure du plaider coupable doit être retirée au parquet et ne relever que du juge qui doit être le seul à avoir le pouvoir d'entrer en voie de condamnation. Le juge doit naturellement être à l' abri de toute pression politique, financière ou médiatique , raison pour laquelle son indépendance doit être garantie. C'est la raison pour laquelle les juges ne devraient plus être placés sous la tutelle du garde des sceaux mais placés sous l' autorité du Conseil Constitutionnel. La contrepartie de cette indépendance doit être, d'une part que la syndicalisation des juges soit impossible, et d'autre part l'obligation pour le juge de répondre de ses actes en cas de manquement. Si le juge conteste une sanction prononcée par son autorité de tutelle en la personne du Conseil Constitutionnel, il pourrait présenter un recours devant la Cour de Justice de la République, car le dernier mot doit appartenir aux représentants de la Nation.

     A l' autre bout de la chaine pénale, on demande au même juge qui a prononcé une peine, de savoir si celle-ci doit être appliquée. L'exécution des peines, l'application des peines et l'aménagement des peines doivent relever de la seule administration pénitentiaire. C'est elle qui est la plus capable de décider où, quand, et comment sera exécutée la peine en fonction des disponibilité dans les prisons, de la personnalité du condamné et des risques de récidive. C'est à elle de décider si tel prisonnier peut bénéficier d'une remise de peine ou d'un aménagement selon son comportement lors de son incarcération. Bien entendu, ces décisions administratives pourraient faire l' objet de recours devant le juge administratif.

     Si cette réforme était appliquée, il ne resterait au ministre de la justice que la gestion des prisons. Dés lors les vaines querelles sur de possibles pressions du gouvernement sur la justice n'auraient plus lieu d' être et le ministre de la justice devrait répondre des dysfonctionnements éventuels quant à l' effectivité des peines prononcées.

     A ces trois missions, est-il nécessaire qu'il corresponde trois formations particulières ? Il existe déjà un concours pour les commissaire de police d'un niveau équivalent à celui d'entré à l'école de la magistrature. Mais on pourrait également imaginer une formation commune pour les juges, les procureurs, les avocats et les directeurs de prisons. La spécialisation, qui, à long terme, engendre presque systématiquement la sclérose, n'est pas toujours un gage d'une meilleurs appréciation d'un problème particulier. Rappelons avec Rabelais qu'une tête bien faite et préférable à une tète bien pleine.