le coup d'Etat constitutionnel


     Un véritable coup d' État vient d' avoir lieu sans pourtant entraîner de bien vives émotions. Quelques constitutionnalistes ont bien protesté, mais les leaders des oppositions ont été bien taiseux. Peut-être cela tient-il de la position des auteurs de ce coup d' État. Il est en effet extraordinaire que les auteurs de coup d'état soient précisément ceux qui sont chargés de veiller à la sauvegarde de la constitution, à savoir les membres du conseil constitutionnel avec la complicité du chef de l'État.

     En examinant s'il fallait censurer une bonne partie des articles de la loi émigration, le conseil constitutionnel était dans son rôle. Pour ce faire, il pouvait s'appuyer sur la Déclaration Française des Droits de l'Homme, sur la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) voire même sur les traitées européens. Mais il a préféré censurer ces articles au motif qu'il s'agissait de « cavaliers», ce qui évitait toute discussion sur le fond du droit. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler qu'un «cavalier» est une pratique parlementaire permettant de faire voter un amendement se rattachant à une loi avec laquelle il n'a rien à voire. Cet usage permettait de faire passer en douce et par surprise une disposition législative qui aurait pu faire débat. Depuis 2008 et l'introduction de l'article 454-1 dans la constitution, le conseil constitutionnel a le pouvoir de censurer les articles de lois qui obéissent à la définition du cavalier, c'est à dire qu'ils ne présentent aucun lien direct ou indirect avec le texte déposé.

     Dans le cas de la Loi émigration, dire que les articles censurés ne présentaient aucun lien avec le texte initial est une forfaiture commise avec la complicité du Président de la République qui savait pertinemment ce qu'il faisait. en transmettant le texte de loi amendé. Le Président ne voulait pas des amendements présentés par la droite et acceptés par la Commission Mixte Paritaire. D'un autre coté, une censure fondée très probablement sur la Convention Européenne des Droits de l'Homme risquait d'accréditer les critiques de la droite sur un galvaudage de la souveraineté nationale. Les sages ont donc obtempéré. S'il s'était agit d'une censure de la loi émigration sur le fond, le débat aurait rebondi quant à savoir si cette censure était justifiée. Mais ce qui pose problème, c'est que ce texte a été adopté par la Commission Mixte Paritaire, c'est a dire qu'il est l'aboutissement d'un débat au terme duquel les deux chambres tombent d'accord. On ne peut donc pas dire que ces amendements ont été présentés à la sauvette, et qu'ils n'avaient rien a voire avec la Loi initiale.

     Dire que la durée de résidence pour les immigrés, que les mesures sur le regroupement familial, la caution pour les étudiants étrangers, les limitations du droit du sol n'ont aucun lien avec une loi sur l'immigration est abusif. Beaucoup de ces mesures sont contestables, mais elles devaient l'être sur le fond et non sur une critique abusive de la forme.

     Ce qui est en cause avec cette décision inique, c'est le droit d' amendement qui vient d'être purement et simplement supprimé. Tout amendement qui ne plaira aux « sages » du conseil pourra être censuré sans avoir à justifier le moindre raisonnement juridique. Comme il n'existe aucun recours contre les décisions du conseil,( sauf à modifier la constitution) , c'est un véritable droit de veto que s'est arrogé le conseil constitutionnel au détriment de la souveraineté nationale représentée par les deux chambres dont les membres sont élus contrairement aux membres du conseil qui sont nommés.

     Comme on sait que par ailleurs, les projets de loi présentés par le gouvernement ont priorité dans l'ordre du jour des assemblées sur les propositions de lois présentées par les parlementaires, le rôle des assemblées se voient réduit à une chambre d'enregistrement. Déjà dans les précédentes crises, le Président avait essayé de les résoudre en se passant du parlement. Par le grand débat après les gilets jaunes, par les conventions citoyennes, par son omniprésence dans les média, le président avait tout fait pour marginaliser le parlement.

     Cette défiance du parlement n'est pas nouvelle dans l'histoire constitutionnelle: sous le directoire, en réaction contre la dictature de la Convention, le conseil des cinq cents discute les lois sans les voter et le conseil des anciens les vote sans les discuter. Le Président Macron , qui tire sa légitimité du suffrage universel ne veut pas la partager avec un parlement même si celui-ci représente la volonté du peuple.

     La présidentialisation de la V eme République est bien en marche. Mais dans un régime présidentiel, le législatif doit rester indépendant de l'exécutif et du judiciaire à défaut de quoi le régime n'est plus démocratique. Depuis la récente décision du conseil d'État concernant Cnews voulant limiter la liberté de la presse, c'est une nouvelle marche franchie vers un régime autoritaire façon consulat.

      Puisse l' avenir nous préserver d'un Macronaparte !