Le secret en question
Avec la nouvelle société de l'information, beaucoup pensent que tout doit être étalé sur la place publique au nom de la transparence, et que le secret doit être remis en question sous tous ses aspects.
Le secret professionnel de l'avocat avait déjà été fortement ébranlé dans l'affaire Sarkozy. Le secret professionnel des avocats a été bafoué lorsque des juges ont considéré que pour trouver qui était l'informateur de l'ex-président, ils étaient fondés à examiner toutes les fadettes des plus grands cabinets d'avocats et, cerise sur le gâteau, d'écouter les conversations entre un avocat et son bâtonnier. Il ne saurait être prétendu qu'un avocat complice d'un délit ne puisse être écouté sur ordre du juge, mais de là à espionner des avocats dont on n'a par ailleurs aucun indice de leur complicité, il y a un pas qui n'aurait jamais dû être franchi par les juges. Le garde des sceaux avait présenté un projet de loi renforçant le secret des avocats . Le sénat l'avait amendé pour restreindre le secret en matière de conseil. Après un débat opiniâtre, la violation du secret finalement ne touchera que le conseil en matière fiscal. Bercy comme toujours l'a emporté sur les avocats.
Le secret de la confession est lui aussi remis en question à la suite du scandale provoqué par le rapport Sauvé. Pour justifier le secret de la confession, affirmer que le droit canon était supérieur à la Loi civile était, non seulement une maladresse, mais une absurdité. Aucune religion ne peut prétendre se soustraire à la loi en vigueur dans un pays, sauf à entrer dans la clandestinité. Aucun gouvernement ne doit tolérer qu'une partie de sa population prétende échapper à la Loi. Le secret de la confession n'est pas le problème déterminant. Le scandale est d' abord dans le nombre de victimes et la volonté de l' église d' éviter le scandale. Il est loin d' être établi que la levée du secret de la confession aurait empêché quoique ce soit, car il est plus que probable que les prédateurs cacheraient soigneusement leurs vices s'ils ont connaissance que le secret peut être levé lorsqu'un prêtre reçoit en confession l'aveu d'un crime sexuel concernant des mineurs. A partir du moment où cette règle est posée, il est bien évident qu'aucun prédateur sexuel n'ira se confesser puisqu'il saura que son confesseur doit le dénoncer.
On retrouve le même problème avec le secret médical. Le médecin a l'obligation de révéler un certain nombre de maladies très contagieuses. Un médecin en charge d'un patient qui apprend de celui-ci qu'il est pédophile doit-il en avertir le procureur , ou bien doit-il se contenter d'essayer d'orienter son patient vers un confrère psy ? Certains, pour s'opposer au passe-sanitaire, ont invoqué à tors le secret médical puisque ce n'est pas le médecin qui va révéler la vaccination mais le patient qui a toujours la liberté de refuser d'exhiber son passe-sanitaire au risque de ne pouvoir être autorisé à pénétrer là où il voulait aller. Il s' agit donc bien d'une restriction du droit d' aller et venir mais non d'une entorse au secret médical. Donner aux directeurs d'écoles la possibilité d'interroger la Sécurité Sociale pour savoir si tel ou tel enfant est vacciné a soulevé tout un débat, certains considérant qu'il s'agissait de la fin du secret médical.
Les autres secrets professionnels sont également en recul. Le secret bancaire a été quant à lui complètement supprimé puisque les banques doivent alerter Tracfin de tous mouvements financiers qui pourraient être suspects.
Le secret des sources des journalistes institué par la loi sur la presse de 1881, bien que mieux préservé, n'est pas non plus absolu puisqu'il cède devant un impératif prépondérant d'intérêt public. Il peut également se heurter à d' autres secrets comme le secret des affaires, le secret de l'enquête et de l'instruction ou le secret des correspondances.
Avec la dématérialisation des données et leurs piratages par les hackers, les mails, et les réseaux sociaux, le risque de violation du secret est omniprésent. La préservation du secret d'état est même menacé par « leaks ». Sur Internet, beaucoup n'hésitent à mettre sur la place publique des informations sur l'intimité de la vie privée d'autrui qui devaient rester secrètes.
Le recours aux pseudonymes ou à l' anonymat permet de se soustraire à l' obligation de respect du secret. Les transactions que l'on veut cacher se font en bitcoins et autres crypto-monnaies et tout un trafic illégal se développe sur Internet. Ainsi, Internet sert d'une part à dénoncer des secrets et d'autre part à favoriser des actions secrètes et illégales. Censurer un internaute qui dévoile un secret est une opération dont les réseaux sociaux refusent de se charger. Mais au moins dans un soucis de transparence, il serait certainement opportun que l'usage des pseudonymes soit proscrit sur internet et que tout auteur d'une publication puisse être identifié.
Contrairement à la tendance actuelle, l'obligation de respecter le secret doit donc être renforcée, car le secret est indispensable à toute vie en société sauf à instituer une société panoptique dans laquelle tout le monde surveille tout le monde sous prétexte d' éradiquer la délinquance. Pour Big Brother, tout secret est suspect et doit être percé pour le bien de tous et celui qui s'y opposerait doit être puni.
Fides était pour les romains la déesse du respect des engagements, de la foi jurée et du secret. Peut-être faudrait-il remettre son culte à l'honneur.