LE TOUT-IMAGE
Depuis plus de 30 000ans l'homme reproduit la réalité par l'image qui prend une place de plus en plus prépondérante dans notre manière de communiquer. Il est du reste paradoxal de constater qu'à l'heure où triomphe l'art non figuratif, l'image remplace de plus en plus le discours.
L'homme dispose de cinq sens pour saisir la réalité qui l'entoure, mais il n'a que deux moyens pour essayer de la représenter: il peut le décrire ou la dessiner.
La première manière de rendre compte de la réalité est de la décrire avec des mots. Cette technique est forcement totalement subjective. Le double filtre de la vision par l' auteur et de sa retranscription par des mots ne peut présenter aucune garantie d'une description objective. Les hommes ont appris à relativiser la description par les mots. Jusqu'à l'invention de la perspective, les essais pour reproduire la réalité par le dessin étaient assez décevants. La renaissance italienne, en introduisant le relief dans le dessin, lui donne une force supplémentaire qui la rend l'œuvre plus réaliste, ce qui permet à son auteur de suggestionner plus facilement le spectateur.
Lorsque l'image se perfectionne avec la photographie et le cinéma, on a tendance à la considérer comme parfaitement objective. La photographie se veut l'exacte reproduction de la réalité, même si une focale ou un angle de vue peut infléchir dans un sens la scène photographiée. Le photographe ou le cinéaste dispose d'une palette très importante pour modifier ce qu'il veut représenter. Les trucages du cinéma ont permis de comprendre qu'il fallait là encore relativiser la reproduction de la réalité.
Avec les images de synthèse, le risque de trafiquer la réalité est d'autant plus grand que l'image fournie est techniquement parfaite. Il est aujourd'hui possible d'animer une vielle photographie de quelqu'un qui est mort depuis des années. Il est possible de faire tenir des propos à quelqu'un qui ne les a jamais tenu, d'introduire un personnage virtuel dans un environnement réel comme d'introduire un personnage réel dans un décor virtuel. Bref, l'image devrait avoir perdu toute crédibilité. Or , c'est exactement le contraire qui se passe et c'est un lieu commun d'affirmer que l'on est entré dans le monde de l'image sans souligner que celle-ci est devenue virtuelle et donc sujette à caution.
Il est frappant de constater que toute les présentations se font maintenant par power-point. L'exposé n'est plus un discours argumenté mais une suite de diaporama pour lesquels le discours est secondaire voire inexistant. L'illustration remplace la raison.
Or, de même que l'on apprend aux enfants la critique d'un texte, il est urgent de leur développer un sens critique de l'image : leur montrer comment un gros plan peut occulter le contexte d'une scène filmée, comment une image peut être facilement trafiquée, ou détournée. Cet apprentissage est difficile, car on a encore l'idée qu'une image ne peut mentir. Avec les images de synthèse, il n'y plus aucun lien avec la réalité puisque l'image est entièrement fabriquée. Et pourtant on garde cette idée que « c'est vrai, puisque je l'ai vu à la télé »
Comme pour une information écrite ou orale, il faut apprendre à vérifier les sources, à les croiser, à les comparer. Il faut donc et toujours développer l'esprit critique et l'appliquer avec la même rigueur à l'image. De même que l'on est plus circonspect à l' encontre du texte non signé ou dont on ignore tout de l' auteur, de même il faut faire preuve vigilance pour toute image anonyme ou publiée sous pseudonyme. L'anonymat peut être une protection dans un régime autoritaire mais elle devient une menace dans un régime de liberté. C'est pourquoi il faut activement militer pour l'interdiction de l'anonymat sur Internet pour les textes comme pour les images dans tous les pays où règne la liberté.
Il reste cependant un écueil à éviter : critiquer systématiquement les médias est dangereux car la méfiance envers les médias est la base même du complotisme.