le tribunal médiatique


      Les média bruissent à l'unisson du dernier scandale à la une. Il faut dire que les acteurs sont propres à exciter le déchaînement des procureurs en tous genres :, un monument du droit constitutionnel omniprésent sur tous les plateaux télé et la fille d'un ancien ministre nièce d' une actrice unanimement admirée.

      L' étincelle qui va mettre le feu aux poudres n'est pourtant pas allumée dans ce but, car le livre de Camille Kouchner est avant tout une thérapie pour soigner une blessure profonde. C'est l'histoire d'une omerta, non pas, comme on l'a dit, pour protéger une personnalité importante, mais simplement pour préserver une victime qui répugne à déballer ce qu'elle a subie, et une mère à la dérive. C'est un livre poignant qui ne doit pas être détourné de son but. Il ne s'agit pas de faire justice mais de se libérer d'une complicité dont l'auteur se sent coupable parce qu'elle n'a pas parlé à la demande même de la victime.Recluse dans ce secret, elle ne peut supporter que le bourreau s'en trouve épargné.

      Certes, il est difficile d'admettre que le prédateur puisse sortir indemne de ces révélations. La prescription le protège des poursuites judiciaires mais l'opprobre qui le cerne de toute part l'accablera tout autant qu'une condamnation impossible parce que la victime n'a jamais souhaité porter plainte.

     Cette tragédie ne doit cependant pas servir de justification pour bafouer des principes primordiaux du droit pénal, pour réclamer de reformes discutables ou s'adonner à des règlements de comptes idéologiques ou politiques.

      Le premier principe qui ne peut céder devant cette tragédie est le principe de le présomption d'innocence. Même si tout semble accuser M. Olivier Duhamel dans le récit de Madame Camille Kouchner, tant qu'il n'a pas été condamné par un tribunal judiciaire, il doit être considéré comme innocent . Toute personne, même si elle a avoué, ne pourra être tenue pour coupable tant qu'elle n'a pas été reconnue comme telle par un tribunal. Ce principe est fondamental car c'est lui qui protège du lynchage. Les bonnes consciences qui se révoltent contre ce genre d'agissements criminels doivent comprendre que le lynchage médiatique est une pratique indigne d'un pays qui se dit civilisé. Des accusés ayant reconnus des faits qu'ils n'avaient pas commis, des accusateurs confondus pour s'être dit victimes de sévices qu'ils n'avaient pas subis, des marginaux condamnés sur de simples rumeurs, voilà à quoi on s'expose si l'on ne respecte pas la présomption d'innocence. Certains diront que c'est du juridisme déplacé. Qu'ils sachent que le respect de la procédure est le gage du respect de nos libertés. La malheureuse affaire d' Outreau est un exemple dramatique qui a heureusement renforcé les juges dans leur extrême prudence.

      Dans l' affaire Duhamel, une difficulté supplémentaire vient de ce que le délai de prescription est dépassé. Alors diront certains, il faut rendre les crimes d'inceste imprescriptibles. C'est facile à dire, mais beaucoup moins à réaliser. D'abord parce que le délai est déjà de trente ans après la majorité de la victime ce qui est déjà très long. 35 ans ou 40 ans après les faits, il devient déjà difficile de réunir des preuves certaines de culpabilités ou des témoignages cohérents. En général, les victimes , si elles ne parlent pas tout de suite, se confient à la première personne avec laquelle elles ont une relation sérieuse et durable, soit, généralement, une quinzaine d'années après les faits,.Prolonger la prescription n'aura aucune utilité pratique. A l' heure actuelle, l'imprescriptibilité est réservée aux seuls crimes contre l'humanité. Il faut préserver cette particularité qui souligne l'horreur de ces crimes qui, compte tenu de leur ampleur, ne présentent aucune difficulté de preuve.

      Des protestations de plus en plus nombreuses se font jour pour réclamer les têtes de l'entourage d' Olivier Duhamel au motif ces proches auraient été au courant et n'ont rien dit. On ne peut pourtant accuser quelqu'un de complicité pour un crime prescrit au simple motif que tout le monde était au courant de ce qui n'était qu'une simple rumeur. Si l'on commence à réprimer quelqu'un sur une simple rumeur ou reprocher à quelqu'un de n'avoir pas sanctionné sur le fondement de la même rumeur, alors c'est le règne de l' arbitraire. D'autant que la propre mère, le frère aîné, et le père de la victime ne seront avertis que des années plus tard, après le décès de la tante de la victime, ce qui entraînera l'ouverture d'une enquête qui n'aboutira pas. Le seul fait d' être un proche de cette « familla grande » ne saurait justifier l'opprobre. Se servir de cette calamiteuse affaire pour régler des comptes politiques est méprisable et indigne.

      Après les scandales Matzneff et Straus-Kahn, certains voient dans l'émoi causé par ce livre le signe du déclin d'une mentalité fondée la permissivité sexuelle post soixante-huitarde et l'annonce d' un retour à l'ordre moral façon Mac-Mahon.

     Madame Camille Kouchner avait besoin d'exprimer sa peine et sa colère. Elle l'a fait avec dignité. Ne rabaissons pas cette affaire à un règlement de comptes.