LES PIEGES DU FANATISME.

     Le fanatisme est souvent considéré comme synonyme d'exaltation religieuse. Il renvoie à l'Inquisition, aux croisades et aujourd'hui à DAESH. Pourtant il existe des fanatismes qui n'ont aucun support religieux. La terreur révolutionnaire, les camps de rééducation des régimes marxistes ou les persécutions dont se rendaient coupables les nazis montrent bien qu'il peut y avoir un extrémisme laïc.

     Pour convaincre les indifférents, les extrémistes ont toujours eu recours à des faux, comme le protocole des sages de Sion et, à ce jour, 3 millions d'américains se laissent intoxiquer par la facho sphère Qanon et croient dur comme fer qu' Hillary Clinton dévore des bébés vivants pour obtenir l'immortalité. Dracula, le retour ! Le phénomène des fake news n'est donc malheureusement pas nouveau même si, avec internet, il prend des proportions extravagantes . On pourrait en rire mais les auteurs de ces inepties sont de plus en plus écoutés même dans des milieux cultivés.

    Toutes les opinions, même les plus absurdes, doivent néanmoins être tolérées Il est indispensable de critiquer, réfuter et combattre de telles incongruités. Mais pour que la contradiction soit entendue, encore faut-il que l'argumentation tombe dans des oreilles averties, capables de compréhension et de discernement. Le sens critique s'éduque par la controverse. L'étude de l'histoire de la pensée et des grands auteurs est à la base de tout humanisme. Il apparaît donc qu'il y a quelque chose à revoir du coté de l'éducation.

      Ce qui est vrai pour une opinion l'est également pour les religions. Elles ont toutes droit de cité en France, mais elles doivent pouvoir être critiquées et aucune n'a le droit d'imposer son point de vue. Lorsque des extrémistes militent pour l'application de la charia en matière du droit de la famille aux musulmans résidant en France, ils violent le principe de laïcité.

     La laïcité est née d'une volonté des républicains radicaux de lutter contre l'influence politique de l'église catholique. Il est paradoxal qu'aujourd'hui les plus fervents partisans de la laïcité soient les mêmes qui regrettent aujourd'hui que l'Islam ne soit pas structuré en église hiérarchisée pour lutter contre les imams les plus radicaux. Si une telle structure existait, il est probable que les mêmes verraient d'un très mauvais œil grandir l'influence politique de cette église musulmane et qu'un anticléricalisme musulman ne tarderait pas à apparaître.

     Fervent défenseur d'une laïcité de combat, Clemenceau affirmait : « la tolérance, il y a des maisons pour ça ! » Le temps n'est pas si loin où les laïcards se vantaient de « manger du curé ». Ces réminiscences illustrent bien l'ambiguïté du mot laïcité. La laïcité républicaine s'est apparentée au début du siècle à un combat contre l' « obscurantisme ». Attention à la rechute ! La laïcité ne doit pas être une conviction idéologique car dans ce cas elle peut être contestée au même titre que le cléricalisme. Ce qui est important c'est que la laïcité soi,t non une idéologie, mais une attitude neutre et tolérante. La liberté de culte est aussi importante que la liberté d'expression. La liberté de culte a un complément nécessaire qui est la liberté de critiquer les cultes. On doit être tolérant avec les cultes qui permettent cette critique mais intolérant avec ceux qui ne la supportent pas.

      Afin de renforcer leurs ascendances, les extrémistes ont recours à des violences physiques ou morales. Ils lancent des menaces, détruisent les œuvres qui leur déplaisent et harcèlent sur Internet ceux qui ont l'outrecuidance de s'opposer à eux, souvent avec la complicité bienveillante d'une intelligentsia à la recherche d'une influence perdue. Lorsque des activistes dénaturent la vérité pour faire passer leurs idées, c'est la démocratie qui est en danger. Si des extrémistes profèrent des injures, il faut systématiquement porter plainte. S'ils portent des accusations au mépris de la présomption d' innocence , ils doivent être poursuivis pour diffamation. Si les mêmes profèrent des menaces de mort, ils doivent être condamnés comme ceux qui se rendent complices en les retransmettant ou en les hébergeant.

     Pour lutter contre l'intolérance, la dérision peut être une arme efficace. Si l'on veut combattre le radicalisme islamique, on peut naturellement publier des caricatures du prophète. Il faut à cet égard rappeler que si l'Islam refuse les représentations de Mahomet, c'est que lui-même, prophète d' Allah, ne voulait pas être adoré comme une idole. Or les caricatures de Charlie ne peuvent être à l'origine d'une idolâtrie ; leur interdiction est donc sans fondement. Cependant, lorsque la moquerie est ressentie comme une persécution elle aura l'effet inverse de celui souhaité : au lieu d'affaiblir les convictions ridiculisées et elle les renforcera en donnant aux caricaturés le statut de martyrs. Or la martyrologie est le moyen le plus efficace pour propager la foi. Il ne faut donc pas abuser de la dérision qui risque d'être assimilée à un blasphème, et c'est pourquoi de bons esprits prêchent pour l'incrimination du blasphème.

     Il faut ici rappeler qu'à l'origine le blasphème était puni parce qu'on redoutait qu'il ne provoque la colère divine. On condamnait le blasphémateur pour éviter la vengeance du dieu contre le blasphémateur et contre ceux qui l'avaient toléré. Dans un deuxième temps le blasphème est annexé par la justice royale qui l'associe au crime de lèse majesté, les juridictions civiles se montrant alors beaucoup plus sévères que les tribunaux de l' Inquisition. La condamnation à mort du chevalier de La Barre pour ce motif par un tribunal civil déclencha une grande émotion chez les philosophes des lumières, qui , a la suite Montesquieu, démontrèrent l'inanité de ce délit supprimé par la Révolution et qui fût rétabli momentanément sous la Restauration, sous la forme du délit d' « outrage à la morale publique et religieuse ». Ce délit fût surtout utilisé pour défendre l'Ordre Moral, alors que dans le même temps, la loi sur la presse réprimait quiconque outrageait la religion d' État ou tout autre légalement reconnu en France. Il faudra attendre la Loi de 1882 sur la presse pour que soit abolie la possibilité de poursuivre le blasphème sous une forme ou une autre.

      La Loi Pleven, partant d'un bon sentiment, a entrouvert la porte par laquelle les intégristes de toutes religions essayent de poursuivre les auteurs de dérisions envers leurs cultes en les travestissant en propos racistes. Heureusement à ce jour, les juges refusent cette interprétation extensive de la Loi.

       Reconnaître aujourd'hui un délit de blasphème serait une atteinte inacceptable à la liberté d'opinion , un retour en arrière insupportable aux temps révolus des religions d'État et une victoire pour tous les fanatiques. L'autre écueil qui se présente devant nous est de vouloir renforcer notre arsenal législatif pour intensifier la surveillance policière et ainsi abandonner une partie de nos libertés. La théorie de Bakounine reste d' actualité : attentat, répression, révolte, prise de pouvoir par la minorité.

     Ne tombons pas dans ce piège et gardons nous d'obéir à ceux qui veulent nous imposer d'éteindre les Lumières.