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Liberté et propriété, les deux jambes du capitalisme

 

      N'en déplaise à M. de Tocqueville, dans la démocratie libérale, l'opposition n'est pas entre égalité et liberté, mais plutôt entre propriété et liberté. Selon Yuval Noah Harari, les ennuis commencent quand le chasseur cueilleur devient agriculteur. Il se sédentarise et cherche naturellement à protéger ses cultures contre les prédateurs et les voleurs. Ainsi naissent les premières clôtures qui accompagnent la naissance de la propriété privée. Depuis l'histoire n'est qu'une éternelle rivalité entre liberté et propriété. La liberté de l'un s'arrêtant, non pas comme il est souvent dit à la liberté de l' autre mais plutôt à la propriété de l' autre.

      Sous l'antiquité, tout peut s'approprier, puisque mêmes les femmes, les enfants et les hommes sont dans le commerce. L'esclave n'a aucune liberté et il est un objet de propriété comme un chien ou un meuble. Son maître a la liberté de décider de sa vie ou de sa mort.

      Le Christianisme va troubler cet ordre séculaire en reconnaissant une personnalité à tous les hommes et femmes. Si le paysan se transforme en serf qui abandonne sa liberté et la propriété de sa terre, c'est au profit de sa sécurité. Il ne rêvera pendant des siècles qu'à retrouver sa liberté et la propriété de sa terre.L'artisan des villes apparaît plus libre mais il subit pourtant des entraves sérieuses à sa liberté d'entreprendre avec le système des corporations et des jurandes. Lui aussi rêve de liberté. La classe dominante,bourgeois des villes, et aristocrates voient également leur liberté d'entreprendre limitée par des interdits : les bourgeois ne peuvent être officiers, les nobles ne peuvent faire du commerce sans déroger et perdre leurs privilèges. Les charges deviennent la propriété de ceux qui les achètent. Les privilèges ne sont rien d'autre qu'une forme de propriété héréditaire.

     La Révolution  abolira tous ces privilèges et restrictions et elle n'hésitera pas, en 1792 en supprimant les universités, à permettre à n'importe qui de s'installer comme médecin ou avocat sans avoir à justifier d'un quelconque savoir ni diplôme. Devant le danger des épidémies, le monopôle des médecins diplômés sera cependant rétabli en 1803. Dans le même temps, la Révolution va consacrer la propriété comme un droit inaliénable au même titre que la liberté et l'égalité.

      La cohabitation du droit de propriété et de la liberté d'entreprise sont les fondements du capitalisme qui se développe tout le long du XIX siècle. Mais seule la liberté d' entreprendre est consacrée alors que dans le même temps les libertés publiques subiront de sévères attaques notamment sous le second empire.

       Le capitalisme sera cependant confronté à une attaque en règle sur le plan de la propriété: avec Proudhon et son célèbre « la propriété c'est le vol » et surtout avec Marx qui condamne la propriété privée des moyens de production. Dans les régimes communistes, l'initiative entrepreneuriale est remplacée par la planification étatiste. La propriété et la liberté sont confisquées au profit d'une organisation administrative dont la pesanteur entraînera la faillite du système.

      Si le capitalisme libéral triomphe du marxisme, il va subir de nouvelles attaques cette fois sur le front de la liberté. Le libéralisme est rejeté d'une part par les libertaires qui refusent toutes contraintes dans un rêve anarchiste et d'autre part par les libertariens qui récusent à l'État la faculté d'intervenir dans la vie économique. Toutes formes de prospective planifiée, toutes régulations de la concurrence par des droits de douane, des règles sanitaires, ou des appellations d'origines protégées sont à bannir . C'est le seul consommateur qui doit réguler la vie économique en achetant les bons produits et rejetant les mauvais. Pourtant ces mêmes ultralibéraux ont été bien contents lorsqu'en 2008 les institutions administratives internationales ( FMI et Banques Centrales) sont intervenues pour sauver les monnaies chahutées par la mondialisation.

      Cette vision ultra libérale est maintenant vivement contestée du point de vue de la propriété par le courant écologiste qui veut imposer des normes environnementales et sécuritaires pour protéger les biens qui autrefois étaient considérés comme « res nullius » et sont maintenant envisagés comme des choses communes. Décréter que certains biens appartiennent à tous n'est pas la même chose que d'affirmer qu'ils n'appartiennent à personne. L'air, l'eau, ou les océans appartiennent à tous et les pollueurs ne devraient plus se les approprier en les polluants. Toutefois, tant qu''il n'y a pas d'organisations internationales pour imposer aux États des normes environnementales, la liberté de polluer a encore de beaux jours devant elle. Comme toute propriété, la propriété des biens communs doit être protégée contre les abus de certains par des barrières réglementaires qui, si elles ne sont que nationales seront inefficaces. En l'état actuel, ces protections ne peuvent être mondialisées que par des traités internationaux. Les nouveaux regains de nationalisme des empires émergents et l'ultralibéralisme des multinationales ne rendent guère optimistes.