L'impossible police des réseaux sociaux
Les fake news, théories du complot, harcèlements, rumeurs, menaces, violations de la vie privées sont le lot commun des réseaux sociaux. Tout le monde semble d'accord pour dire qu'une forme de contrôle devrait exister, mais cela est plus facile à dire qu'à faire, car il s'agit de problèmes différents nécessitant des réponses distinctes.
Si je suis la cible d' injures publiques ou privées,de menaces ou de harcèlement, il s'agit de contraventions ou délits. Cela nécessite donc obligatoirement l'intervention de la justice. Le site hébergeur qui a participé à la divulgation du délit ne peut être érigé en agent verbalisateur ou en procureur et encore moins en juge. Lui donner des pouvoirs de censure en l'obligeant sous peine de sanction à retirer tout contenu répréhensible serait une atteinte intolérable à la liberté d 'expression. Le risque serait alors que, pour se couvrir, tout message un tant soit peu contestataire soit supprimé par précaution. Si je traite un élu d'escroc, c'est une injure ; Si j' affirme qu'il gère sa ville en dépit du bon sens, c'est une opinion qui ne doit pas être censurée. Ériger Google, Facebook ou Twitter en arbitre revient à édifier un système d'auto-censure dont la sévérité dépendra de la rigueur avec laquelle l'État poursuivra ou non l'hébergeur. Dans un régime autoritaire, on imagine aisément les dérives.
Le phénomène du « revenge porn » s'oppose naturellement au principe de protection de l' intimité de la vie privée surtout s'il s'agit d'images volées ou prises à l'insu de celui qui est filmé. Mais si la photo ou vidéo qui circule met en scène l'auteur même de la vidéo, ce n'est pas l'image qui viole l'intimité, mais sa diffusion, ce qui pose problème surtout lorsque cette diffusion a été initié par celui qui se mets en scène. La simple prudence devrait permettre d'éviter de se retrouver exposé à la diffusion d'images qui devaient rester dans la sphère de l'intimité de la vie privée. Poursuivre les diffuseurs « secondaires » qui n'ont fait que relayer une diffusion d'images intimes prises et diffusées initialement par celui qui se mets en scène est plus difficile dans la mesure où l'auteur principal et la victime sont une seule et même personne. Il est difficile de punir pour complicité les diffuseurs secondaires alors que l'auteur principal ne peut être tenu pour coupable d'avoir exposé sa propre intimité.
Pour sanctionner l'auteur d'une infraction, il y a deux méthodes. La première est de trouver un système qui permet facilement la détection de l'infraction et une mise en place peu onéreuse d'une sanction rapide. Si l'infraction n'est pas trop grave, la sanction peut être légère parce que la récidive est également facilement détectable. L'effet dissuadant vient ici de la quasi certitude de se faire prendre. C'est le système des radars contre les excès de vitesse. L'autre procédé est de punir rarement mais très sévèrement. C'est le système mis en place pour les contrôles fiscaux. Ils sont rares, mais ils sont très sévèrement punis.La dissuasion vient alors de la lourdeur de la peine.
A première vue, le premier système pourrait s'appliquer à Internet.Compte tenu du volume de messages échangés sur internet, un contrôle efficace pourrait être effectué par des algorithmes. On en arriverait donc à une assujettissement de la liberté d'expression par l'Intelligence Artificielle. Orwell n'est pas loin.... Le second système fonctionnerait par sondage effectué par un personnel compétent et assermenté. Mais il sera difficile de sanctionner l'auteur s'il réside à l'étranger ou s'il crypte son identité.
La lutte contre les « fake news » ne peut obéir au même mécanisme parce qu'elles ne tombent pas toujours sous le coup de la loi. Sauf à revenir au temps de l' Inquisition qui menaçait Galilée parce qu'il avançait la théorie de la rotondité de la terre, il est parfaitement légal de d'affirmer que la terre est plate. Si je suis platiste, je ne porte tors à personne tant que je ne ne vise pas une personne nommément en l'accusant de comploter contre la vérité au nom d'on ne sait quel intérêt. Le simple bon sens devrait pourtant permettre de régler cette question les plus évidentes.
Si je diffuse sciemment une fausse nouvelle ou une accusation sans fondement, qui peut rétablir le vrai ? Il peut exister des théories pseudo-scientifiques dont la fausseté est difficile à démontrer pour un non scientifique. Dés lors, à quelle autorité confier le rôle de décerner un brevet de vérité ? Le juge n'est pas compétent parce que sa mission est de dire le droit, non de dire la vérité scientifique historique ou factuelle. Confier cette mission à une académie d' expert est compliqué car il faudra réunir un collège spécifique pour chaque question à traiter et cela ne ferait que renforcer les tenants de la théorie du complot qui prétendront toujours que les experts ont été sous influence. Du reste, un tel collège aurait probablement refusé à Galilée le droit d'exposer sa théorie.
Conscient que la mise en place d'une censure internationale est une risée de l'esprit, certains préconisent l'interdiction de l'anonymat sur internet. Or les mêmes difficultés internationales apparaîtront pour la vérifications de l'identité d'un étranger domicilié dans un pays qui ne voudra pas ou ne pourra pas procéder à cette vérification. La seule solution est alors de nationaliser internet comme la Chine le fait. Mais à part la Corée du Nord, aucun régime totalitaire n'arrive à contrôler entièrement internet.
Chaque fois qu'un nouveau média est apparu, les états ont mis en place une censure qui n'a duré qu'un temps. L'imprimerie, le cinéma, la radio ont véhiculé le meilleur comme le pire. Pour lutter contre ce qui apparaissait comme le pire, on mis en place des contrôles qui ont toujours été tournés. Sous l'ancien régime, les libelles étaient imprimés à l'étranger et circulaient sous le manteau. pour finir par s'en libérer. Charles X a perdu son trône pour avoir voulu juguler la presse et le salon des indépendant est né de la volonté des peintres de se libérer du contrôle officiel. Créer une censure sur internet aura pour seul effet de renforcer le « dark internet » qui existe déjà. Il faut donc se rendre à l'évidence que la censure sur internet est impossible et inopportune. Par contre, il serait judicieux de mettre en place pour les jeunes une éducation à internet pour leur expliquer ce que l'on peut dire et montrer et ce qui ne doit pas l'être , ce que l'on peut croire et ce qui ne mérite pas de l' être . Il faut apprendre aux enfants à discerner le vrai du faux, à peser le pour et le contre. C'est pourquoi il est indispensable de rétablir à l' école l'exercice de la controverse telle qu'elle se pratiquait dans les universités du moyen-age.