Pouvoirs et contre-pouvoirs
par JL de BB
Dans un brillant plaidoyer, Laurent de saint Perier se fait l'avocat du quatrième pouvoir que sont les médias. Il essaye de disculper les media en faisant un habile amalgame entre dénonciation d'une injustice et délation.
Lorsque Zola publie « j' accuse » , lorsque Voltaire prend fait et cause pour Jean Calas, lorsque des journalistes se battent pour obtenir la révision du procès d' Omar Raddad, ils dénoncent ce qu'ils estiment être des erreurs judiciaires. Une chose est de se battre pour faire libérer un innocent injustement condamné, autre chose est de discréditer un présumé innocent. Les médias ne peuvent se substituer à la Justice qui, pour des raisons de procédure ( prescription) ou d'absence de preuves pertinentes, est parfois impuissante à condamner un coupable potentiel pour des agissements qui relèvent souvent de l'intimité de la vie privée.
L'intimité de la vie privée doit être protégée avec vigilance. C'est l' honneur de la presse française d'avoir refuser de divulguer la double vie du Président Mitterrand connue de tous les journalistes, alors que ces révélations étaient susceptibles de lui faire perdre des voix.
Par contre, les révélations faites par Camille Kouchner dans l'affaire Duhamel violent l'intimité de la vie privée de son frère jumeau qui ne souhaitait pas cette divulgation. Le livre de Camille Kouchner se justifie dans la mesure où elle-même, se sentant complice, avait besoin que la vérité soit dite. Le retentissement médiatique sera tel qu'Olivier Duhamel sera contraint de se démettre de toutes ses responsabilités. En publiant ce livre, et en dévoilant ces faits prescrits que la victime avait volontairement cachés, Camille Kouchner s'est comportée en justicier et les media s'en sont fait complice. Il ne s' agit plus ici de se battre contre une décision de justice qui condamne un innocent, mais de se substituer aux institutions judiciaires paralysées par la loi régissant la prescription. Il est donc bien question de se substituer aux institutions pour se livrer à une forme de justice privée comme le font certains avocats qui n'hésitent pas à médiatiser des causes qu'ils savent perdues devant un tribunal.
La situation est tout a fait différente lorsqu'il s' agit de la vie publique et que les media exercent leur conte-pouvoir en s'opposant à des volontés politiques. Lorsque le François Mitterrand monte un faux attentat avenue de l' Observatoire, la presse est dans son rôle de dénoncer cette imposture. Lorsque le Washington Post dénonce le scandale du Water-gate, il s'agit de révéler au public des agissements délictueux commis par les sbires d'un président en exercice. La presse agit alors comme un contre-pouvoir de l' exécutif. Il est évident qu'aucun démocrate ne va dénier le droit à un auteur ou à un journaliste la possibilité de critiquer un homme ou une politique à condition cependant de pas s'immiscer dans sa vie privée.
Pouvoirs et contre-pouvoirs doivent chacun rester dans leurs zone de compétence sinon on arrive à l'affaire Monica Levinsky qui est le contre-exemple d'une grave dérive où tous les pouvoirs se sont dévoyés. On a un juge républicain, la procureur Kenneth Starr , qui veut la peau du président démocrate Clinton et qui enquête sur de possibles malversations financières, mais qui, peinant à trouver des preuves, se décide à enquêter sur la vie privée du président. On a ensuite une stagiaire qui veut se venger d' avoir été évincée, un président qui ment à la justice, des fuites organisées dans la presse pour finir par un non lieu prononcé par un vote partisan du Sénat.
La presse est un contre-pouvoir , c'est-à-dire qu'elle est fondée à exercer un pouvoir de critique, mais elle ne doit pas se substituer à l'un des trois pouvoirs. Elle a le droit de critiquer l'exécutif, mais ce n'est pas elle qui doit gouverner. Elle a le droit d'influencer le législatif mais ce n'est pas elle qui doit édicter les lois. Elle a le droit de critiquer une décision de justice mais ce n'est pas à elle de rendre la justice. Les médias sont un contre-pouvoir, elles ne doivent pas prendre le pouvoir.