Sur l'Afghanistan, l'Amérique et les féministes!

Par Laurent de Saint Perier


     Avant tout, sur l'Afghanistan, permettez-moi de vous inviter le grand dossier en accès libre que j'ai publié ces dernières semaines!  https://icibeyrouth.com/author/laurentdesaintperier


       J'ai lu avec intérêt votre billet sur la débandade américaine et j'aimerais, ayant étudié en profondeur le dossier, amener quelques éléments :    

- Nous sommes bien d'accord sur le manque de courage de Biden et ses funestes conséquences, cependant il faut préciser que c'est Barack Obama et non Trump qui avait décidé de ce retrait et qui a parrainé l'ouverture d'une ambassade talibane à Doha en 2012 pour établir une communication directe avec eux à cet effet. Il est donc difficile d'invoquer un isolationnisme d'extrême-droite quand c'est le plus "gauchiste" des démocrates qui l'a prévu, dans la foulée du désengagement de l'Irak qui a donné naissance à Daesh. Obama s'est-il désengagé par "décolonialisme", comme vous l'entendez ? (" la gauche américaine n'était pas non plus favorable au maintien des troupes, y voyant un retour du colonialisme") Obama, sur bien des questions sociétal était bien plus à droite que Kennedy et les Noirs qui avaient vu en lui leur porte étendard furent amèrement déçus.(https://www.lefigaro.fr/international/cancel-culture-meme-obama-en-a-marre-20210609).
        A vrai dire Obama était sans doute aussi isolationniste que Trump, mais la vraie raison du désengagement américain est sous nos yeux : les Américains ont fini par comprendre que leur engagement ne servait à rien, qu'à rendre permanent l'état de violence. Ils ont laissé sur le seul sol afghan 2465 morts, deux mille milliards de dollars et 20 ans de vains efforts. Ils ont fini par faire ce constat évident, que font les français au Mali : on ne construit pas un Etat avec des armes étrangères, encore moins une nation, encore moins une démocratie. Constatant cette évidence, ils se sont rappelés des seuls objectifs de leur intervention, depuis pérennisée sous couvert de "nation building" : trouver et neutraliser Ben Laden. Ce qui a été fait en 2011. C'est alors qu'Obama a pensé à ouvrir un canal de communication directe avec les talibans, etc. La France se rappelle aussi aujourd'hui qu'elle n'était intervenue au Mali que pour sauver Bamako des colonnes jihadistes qui la menaçaient... Les Américains sont pragmatiques, toutes les politiques étrangères sont pragmatiques, même celle de la Corée du Nord! Ce qui n'empêche pas qu'elles puissent déboucher sur des absurdités, des risques ou des crises!

        - pour ce qui est "du silence assourdissant des gauchistes islamo-féministes" : tout d'abord je n'entrerai pas dans les controverses sur le sens des trois derniers mots accolés, sauf à dire que "gauchisme" est à la base un terme vague et fourre-tout, bien pratique pour mettre un paquet de gens dans le même sac et donc peu rigoureux à l'échelle du concept ; féminisme l'est un peu moins, mais tout de même, il existe de nombreuses nuances de féminismes, tout comme l'islamisme qui groupe une foule de tendance -jihadistes, salafistes, fréristes, tabligh, déobandy (les talibans),etc- qui sur le terrain se font souvent la guerre, or le mélange de trois imprécisions ne peut certainement pas faire une définition, mais au contraire un grand fourre-tout bien pratique pour disqualifier, en les qualifiants ainsi; un paquet de gens avec lesquels on n'est pas d'accord et dont on invalide ainsi par avance la parole, voire pire (le judéo-bolcho-maçonnisme était ainsi bien pratique pour condamner indistictement juifs, banquiers, communistes, socialistes, laïcistes etc). Mais je vois les figures que vous mettez dans ce grand sac et beaucoup ne me plaisent pas plus qu'à vous! Ceci précisé, pour la défense de f-i-g , je vois que deux piliers de la "mouvance" Clémentine Autain et Rokaya Diallo n'ont pas mâché leur soutien aux femmes afghanes (https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/rokhaya-diallo-le-sort-des-femmes-afghanes-a-ete-instrumentalise) . C'est un peu à chaque fois le même procès : ainsi, on se plaint à chaque attentat du "silence des musulmans", mais personnes ne va voir, et ils parlent mais personne ne les écoutent et tout le crie au scandale du silence musulman... En outre, à la place des "f-i-g", je répondrait que si je suis totalement solidaire du sort des "soeurs afghanes" , le combat qui me guide, qui m'accapare, est celui contre le patriarcat dans la société française et que celui-ci est déjà herculéen pour que je m'engage aussi dans la défense militante et publique des femmes afghanes mais aussi nigérianes, palestiniennes, saoudiennes, somaliennes, ouighours etc.

      - Sur le Mali et le retrait de la France, qui serait motivé par l'accusation de néo-colonialisme et l'isolationnisme renforcé des Français. Voir tout d'abord ce que j'ai écrit au-dessus : le gouvernement socialiste est intervenu en 2013 pour sauver Bamako. Mission qui a dévié de ses objectifs et s'est muée en opération de nation building : on ne crée par un Etat -ni une armée comme vous le soulignez pour le Sahel mais idem en Afghanistan et en Irak- avec des armes étrangères. Les Français s'en rendent compte exactement comme les US en Afghanistan en 2011 : au bout de 10 ans. L'accusation de néocolonialisme a toujours existé, et le parti anticolonial était fort à l'assemblée, sous "l'empire de la 3ème république", je ne vois pas qu'elle soit concrètement plus influente, si mieux étalée certes, qu'autrefois. Quand à l'isolationnisme français, il m'a toujours semblé en santé stable et bonne depuis l'Algérie, dynamisée de temps en temps comme par l'attentat du Drakkar (1983) où le désastre de la Kapisa (2014). S'il y a retrait français il ne se fera que sous l'impulsion d'un raisonnement pragmatique de politique étrangère, le même pragmatisme qui nous aura conduit à intervenir.

       - je lis dans vos dernières lignes qu'une menace sombre et puissante pèsent sur nos Etats et nos sociétés : celle de l'épouvantable fémino-écolo-islamo-LGBT+o-gauchisme qui amène la guerre. Au-delà du caractère très contestable d'une unité, ou même d'une cohérence de ce vaste fourre-tout, le socialisme (puisque c'est in fine la gauche votre adversaire), ça n'est pas vraiment la guerre, mais -sans être "gauchiste" du tout- je suis d'accord avec Mitterrand pour penser que le nationalisme, c'est la guerre. Or la gauche en France, toutes tendances confondues, rampe lamentablement dans les sondages, quand le nationalisme, lui triomphe, laissant une droite libérale en morceaux et en perte de vocation, comme triomphe le nationalisme en Mitteul Europa, en Grande Bretagne, hier aux USA, mais aussi en Russie ou en Chine. Ne pensez-vous pas qu'ils soient autrement plus menaçant que les militants pour l'abolition des pesticides ou la légalisation du mariage gay?